Entretien /Hachimiya AHAMADA : Une cinéaste du terroir
1- No man’s land : Hachimiya, comment s’est faite votre arrivée dans le cinéma ?
Adolescente, je passais tous mes samedis après midi dans un atelier vidéo à Dunkerque : l’Ecole de la Rue. Dans cet atelier avec une bande de copains passionnés de cinéma, j’avais fait mes premiers pas en réalisant de petits portraits documentaires. Il y avait eu une telle cohésion dans le groupe et un tel engouement pour les films qu’aujourd’hui certains d’entre nous ont transformé cette passion en métier. Parmi nous il y a des réalisateurs, un producteur, un projectionniste (qui est comorien d’ailleurs) et des programmateurs de films. Par ailleurs, cet atelier se trouvait dans le même bâtiment qu’une salle de cinéma d’Art et d’Essai dont le programmateur de l’époque organisait chaque année un festival de rencontres internationales de cinéma dans lequel on avait eu la chance d’échanger avec des cinéastes venant de pays différents. Ils nous aidaient à aiguiser notre regard sur le monde et à construire un discours cinématographique avec l’aide de l’image et du son. A mon regret ce festival n’existe plus. Cette période de jeunesse est ma persistance rétinienne qui aujourd’hui encore me pousse à aller plus loin dans cette voie.
Par la suite, je me suis inscrite à l’INSAS, une école de cinéma à Bruxelles. J’ai suivi une formation de Réalisation et j’en suis sortie diplômée en 2004.
2- No man’s land : Vous êtes une jeune femme, musulmane de surcroît, née dans une famille d’origine comorienne. Comment votre famille a réagi lorsque vous leur avez annoncé que vous alliez désormais embrasser une carrière de cinéaste ?
Depuis mon adolescence, mes parents m’avaient toujours vue avec une caméra en main. Ils savaient que je passais tous mes samedis dans cet atelier. En dehors de ça, je filmais parfois des mariages traditionnels qui se faisaient dans la communauté comorienne de Dunkerque. Je prenais aussi des images propres à la famille … ça allait de soi que je voulais poursuivre cette passion comme un métier. Toutefois, ne comprenant pas le terme ‘cinéaste’ ma famille est en train de le découvrir au fil de mon parcours. J’essaie de faire comprendre que je ne suis pas une ‘journaliste ‘! Un terme plus facile à conceptualiser.
Femmes ou hommes cinéastes issus du milieu musulman (et comorien de surcroît) on est tous dans le même bateau. Ce n’est pas le fait d’être une femme qui serait un obstacle ou la religion qui serait un frein pour embrasser cette carrière. C’est l’ignorance sur les métiers qui touche à l’art en général. Nos parents ont été bercés par le cinéma de Hollywood, de Bollywood et du cinéma asiatique et comme nous n’avons pas encore conquis industriellement ce terrain là, il est normal qu’un parent craigne que son enfant se lance dans ce monde qui lui est inconnu. Pour notre jeune génération, femmes ou hommes, il faut aller de l’avant, ne pas se poser de faux problèmes ou de fausses questions sur la religion ou les traditions : on a vivement besoin d’artistes, et, dans mon domaine de cinéastes, d’acteurs qui en se mettant dans la peau de super héros seraient nos miroirs, de producteurs, de techniciens … A ce jour, on est dans une phase où l’on pose des jalons pour la génération future.
3- Quel regard portez-vous sur la femme comorienne, qu’elle soit de la diaspora en France ou des Comores en général ? La femme comorienne, vous la trouvez comment ?
J’avoue que j’ai du mal à répondre à ce genre de question très féministe.
La femme comorienne est intérieurement très forte. Quelque soit le milieu dans lequel elle se trouve, quelque soit sa dépendance à la tradition (car la femme comorienne en reste la gardienne de génération en génération), elle arrive à imposer sa place face aux hommes. C’est par elle que se font les grandes décisions familiales ou collectives contrairement à ce que l’on peut penser. Les femmes ont de la poigne ! Par ailleurs, on reste quand même une société dont la vie des femmes se fait plus ou moins en gynécée et cela renforce les femmes entre elles, elles se soutiennent vraiment. Le côté positif, c’est la solidarité pour apaiser leurs maux individuels, ô combien nombreux ! Je suis très admirative de la jeune génération de femmes qui est très dynamique, très ambitieuse, très combative et qui sait allier Modernité et Tradition. Elles donnent un bel espoir pour notre futur idéal comorien. Qu’il en soit ainsi !
4- Vous avez passé toute votre vie en Europe. Pourquoi avez-vous choisi de tourner votre film « Résidence Ylang Ylang » aux Comores ? La langue de ce film est le comorien, est-ce un hasard ?
Après ma formation à l’INSAS, j’ai voulu me lancer dans une fiction. « La Résidence Ylang Ylang » est mon premier court métrage de fiction. J’ai toujours fait du documentaire qui est une très bonne école pour passer vers la fiction ou vers la fiction détournée vers le réel. Je suis partie d’un sujet qui me tient à cœur : la maison. Ce court métrage est très important pour moi car il y a des inspirations autobiographiques et il fallait aussi que je retourne à mes origines par le biais du cinéma. Je suis née à Dunkerque donc j’appartiens à la diaspora comorienne et forcément mon regard reste celui du « Je viens ». Par « La Résidence Ylang Ylang » je voulais en moi-même casser ce regard. Le film effectué je n’arrive toujours pas à savoir si j’y suis arrivée.
Par contre c’est ma meilleure introspection vers les Comores. Lors de mes phases de recherche pour préparer le film, j’ai fait des rencontres qui m’ont fait comprendre ce qu’était le quotidien comorien quel que soit le milieu social. L’expérience de ce court métrage est aussi une preuve que l’on peut faire des projets de toute sorte dans le pays et que les insulaires sont en attente de ce type d’initiative. Il y a du potentiel et une telle énergie qu’on ne peut pas passer à côté de ça. La problématique majeure reste tout de même toujours : par quel moyen y arriver ?
Pour la question de la langue, un film reflétant un pays doit se faire dans la langue du pays où l’on tourne. Les insulaires sont nés et ont baigné dans la langue comorienne : cela n’aurait eu aucun sens si les acteurs avaient joué en langue française. Et, les spectateurs comoriens doivent s’accaparer un imaginaire qui se base sur leurs propres repères. Pour cela, j’ai tourné en comorien même si moi-même je ne maîtrise pas bien la langue. Je dois faire des progrès pour pousser encore plus loin mes travaux.
5- Vous avez présenté votre film un peu partout dans le monde, dans des festivals qui ne sont pas des moindres, de renommée internationale. Quels souvenirs avez-vous gardé de ces rencontres du 7ème art ?
Le film a effectivement bien tourné. Un court métrage vit normalement deux ans. En deux ans et demi, « la Résidence Ylang Ylang » a été diffusé dans plus de 35 festivals internationaux. C’est génial et inattendu car je ne pense pas que mes prochains films auront un tel parcours. Le souvenir que j’en garde, c’est l’immense curiosité des spectateurs envers un pays qu’ils ne connaissent pas vraiment. Ils ont déjà entendu le nom mais ne savent pas vraiment où cela se situe dans le Monde : les Comores, dans l’imaginaire des autres, c’est un monde très reculé. Ce qui me marque c’est aussi leur surprise à voir l’omniprésence du vert (végétation luxuriante) ou à entendre une langue qui leur est inconnue. Ces rencontres en festival sont stimulantes pour continuer à travailler dans cette voie. Sans le vouloir, j’étais un peu un porte-drapeau ou un porte-parole des Comores à chaque rencontre avec un public différent. Il y a une réelle soif de voir des images venant de l’Océan Indien en cinéma, non pas en télévision mais en Cinéma. Pour cela, il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine là pour apaiser cette soif extérieure (et intérieure aussi d’ailleurs).
6- Le prochain Hachimiya parlera de quoi et dans quel pays sera-t-il tourné ?
Je travaille actuellement sur un projet de documentaire long qui s’intitule ‘L’Ivresse d’une Oasis’ produit par Shõnagon Film et le CBA à Bruxelles. Cinq ans de travail qui sont en train d’aboutir. Un vrai parcours du combattant en terme de production. Ce temps de réalisation a été très long car je me focalise sur un thème qui apparemment ne plaît pas aux télévisions. Ce n’est pas plus mal car j’ai une liberté d’écriture et de format pour le moment. Je tourne toujours autour de ce même thème : la maison non terminée qui attend le retour de son propriétaire exilé ailleurs. Pour un ‘Je viens’ ce qui nous fait revenir au bled c’est la fierté du père : la maison familiale qu’il a construite dans son village natal.
Mais, en tant qu’enfant de la diaspora, que fait-on de cette maison en dur demeurant inoccupée durant de longues années?
Et plus largement, que fait-on de notre héritage culturel comorien quand on est de France ou quand on s’en va de l’Archipel des Comores -qu’on soit de la Grande Comore, d’Anjouan, de Mohéli ou de Mayotte-?
Je suis partie seule en 2006 faire un repérage sur les 4 îles de l’archipel et je suis revenue avec une petite équipe cette année pour filmer à nouveau dans ces îles. C’est un film d’introspection sur l’identité comorienne qui part de ma famille pour aller vers les autres. Encore une fois, les pérégrinations à travers les îles ont été de vraies révélations sur ma quête identitaire en rencontrant des gens du peuple, dans le sens noble du terme. Toutefois, ils m’ont fait comprendre chacun à sa manière ce que pouvait être un idéal comorien. Je suis actuellement en phase de montage à Bruxelles. Avec le monteur, nous essayons de réunir les 4 îles au sein de ce long film road-movie. J’espère au final avoir un film en ‘Cinéma’ qui reflète vraiment la température actuelle de l’ensemble de l’archipel.
7- No man’s land : Que peut le cinéma dans nos sociétés actuelles ? Que peut apporter de positif le cinéma dans les sociétés Comoriennes en particulier et dans les sociétés du monde en général?
Quelque soit la forme du film (fiction, documentaire, fiction-docu, cinéma expérimental), faire du cinéma, c’est donner une vision singulière sur le Monde qui nous entoure. On partage avec l’Autre nos histoires en image et en son. Dans les pays où il y a carence de cinéma, même s’il y a évasion, ce moyen d’expression a un rôle politique. Il donne la température contemporaine des pays en crise ou en expansion. Plus il y a crise, plus il y a de la matière à narrer. Plus il y a crise, plus il y a censure et plus cette contrainte oblige l’auteur à trouver une forme particulière à son œuvre (je pense au cinéma iranien et chinois dont les auteurs s’en sortent par des propositions stylistiques intéressantes malgré les condamnations lourdes dont ils écopent pour juste avoir eu envie de filmer leur pays). Cela en est de même pour les pays sans moyens industriels cinématographiques.
En ce qui concerne nos îles, il y a tellement d’histoires à raconter dans la culture comorienne… On est une société riche en contradictions et il y a de quoi puiser en nous pour réaliser des milliers de films avec des sujets très forts. Faire le portrait de cette société par le biais du cinéma, sans faire de concession, aurait un impact infini sur nos projections en nous-mêmes et sur notre imaginaire. Car actuellement, dans le Nord (voire aussi dans les îles mêmes), quelles images sont véhiculées sur nous ? Nous reconnaissons-nous en ces images ? Je n’arrive pas à savoir si nos images sont encore floues sur nous ?
Il y a un besoin énorme de mettre en place un miroir pour corriger nos propres maux, pour réfléchir, pour se divertir ou pour s’évader avec un héros qui ressemble aux insulaires. On est en manque d’identification avec des personnages comoriens face à la circulation massive de films américains, asiatiques et de Bollywood en DVD. A part à Mayotte (mais il faut s’interroger sur le public qui fréquente les salles obscures), on est surtout en manque d’une salle de cinéma sur les autres îles. Au moins une dans chaque capitale, ce serait déjà pas mal.
8- No man’s land : Quand on parle de cinéma, on parle toujours d’investissement, de salles de cinéma, de téléspectateurs qui se déplacent et qui achètent des tickets, de distribution, en un mot, d’industrie du cinéma. Ne pensez-vous pas qu’un développement du cinéma aux Comores implique une création d’une industrie du cinéma à l’instar de Nollywood au Nigéria, de Bollywood en Inde et de Hollywood aux Etats-Unis ?
Avec quels moyens faire et diffuser le cinéma comorien?
C’est une question cruciale qui touche également tout le cinéma d’Afrique noire francophone à ce jour. Dans le Nord, on s’inquiète sur le manque de représentation africaine plus franche à diffuser dans les salles obscures (en dehors des festivals pour l’Afrique) alors que dans le Sud, il existe tout de même des productions qui se font chaque année (avec difficulté selon la nécessité budgétaire) sur des supports différents et de qualités différentes. Néanmoins, il y a une réelle absence de structures qui s’occuperaient essentiellement de la circulation de ces films entre les pays africains et en dehors des festivals ponctuels.
Pour le moment je suis un peu pessimiste sur l’existence d’une industrie du cinéma comorien. Je suis plutôt dans l’ordre du rêve : il faudrait une création industrielle qui serait un mélange entre un Nollywood, un Bollywood et aussi un cinéma exigeant d’auteur. Chacun y trouverait son compte.
Mais par quel procédé ? Par l’Etat comorien qui créerait comme cela se fait dans quelques pays africains une Commission du Film qui dépendrait du Ministère de la Culture ? Si déjà une structure de la sorte n’existe pas pour les autres formes d’art, comme la littérature ou comme le spectacle vivant dans le pays, je peux encore rêver longtemps.
Puis, il y a une autre alternative qui est l’ensemble des aides culturelles venant du Nord ou du Moyen Orient, mais cette solution là doit-elle en être l’unique réponse pour faire accoucher nos créations?
C’est à méditer…
https://www.dailymotion.com/video/xtxq3w_la-residence-ylang-ylang_shortfilms
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