YLANG-YLANG, UNE FILIERE EN PLEIN DECLIN A MAYOTTE
Thomas Danflous, co-gérant de la société Aromaore, travaille dans la filière de l’ylang-ylang à Mayotte. Au cours d’un entretien, il nous parle de cette filière en déclin.
No man’s land : Quel est l’état actuel de la filière de l’ylang-ylang à Mayotte ?
Thomas Danflous : La filière de l’ylang-ylang se porte mal, en raison des évolutions juridiques, économiques et sociales, d’une part, et, d’autre part, l’ylang est soumis à un cours mondial qui varie entre 90 et 110 euros le kilogramme. Pourtant, de la cueillette à la distillation de l’ylang pour avoir de l’huile essentiel, le total coûte 300 euros. Avec les alambics INOX, il faut 80 litres de pétrole pour avoir 2 litres d’huile essentielle. Pour ceux qui ont des alambics en tôle galvanisée, disons la majorité des producteurs de l’île, il leur faut du bois, et comme le déboisement est interdit sur l’île, ils achètent cher le bois et en catimini. Du coup, il est illogique, avec un prix de production de 300 euros, de payer au SMIC les gens qui travaillent dans la filière. Peu de gens achètent l’ylang à Mayotte puisqu’après, ils vont le vendre à perte.
Nous personnellement, pour contourner le problème des pertes, nous produisons notre ylang nous-mêmes, et le vendons aux touristes, en fabriquant des produits plus élaborés à l’instar d’huiles de massage que nous vendons dans des petits flacons. Nous faisons travailler dans les plantations, je me dois d‘ être sincère, des sans-papiers français. Comme le travail est pénible et peu rémunéré, les Mahorais refusent de travailler dans la filière. Le prix du KG est de 10 centimes habituellement contre 1.5€ pour nous. une cueilleuse aguerrie peut espèrer récolter 5KG de fleur/h ce qui est un travail très pénible
Mais à la longue, nous risquons d’aller en prison. Faire travailler des sans-papiers français ça rapporte de l’argent, mais c’est pénible et trop risqué. La filière de l’ylang à Mayotte est en plein déclin, l’ylang mahorais n’est pas viable, avec les pressions juridiques, économiques, sociales et la dictature du marché mondial.
No man’s land : Vous avez beaucoup parlé des hommes, et si vous nous parliez de la manière dont vous distillez l’ylang ?
Thomas Danflous : Il ya 15 alambics INOX à Mayotte qui permettent de produire l’ylang aux normes européennes. Les alambics ont été financés par le STABEX (Système de stabilisation des exportations [des produits agricoles] financé par l’Union Européenne) par l’intermédiaire du Conseil Général de Mayotte. Mais il y a plus de 5 alambics qui ne sont pas opérationnels, sont abandonnés dans des garages. Et personne ne peut les réclamer, nous avons essayé, mais sans succès. De l’argent perdu en quelque sorte.
Sur 30 producteurs répertoriés à Mayotte, seulement 3 ont moins de 30 ans. Cela dit, il n’y a pas de passation de métier ni de savoir-faire. Certains producteurs préfèrent arracher les ylangs pour planter des cultures vivrières. En plus, les ylangs sont vieux à Mayotte, ils ont plus de 50 ans, ils donnent moins de fleurs étant donné qu’il n’y a pas de régénération de l’espèce.
La majorité des producteurs mahorais distillent l’ylang à partir d’alambics en tôle galvanisée et malheureusement pour eux, l’essence est légèrement jaunâtre, il y a des métaux lourds. Les huiles essentielles ne sont pas aux normes européennes. Du coup, les grossistes importateurs n’en veulent pas, les entreprises pharmaceutiques non plus. Et ceux qui achètent ces huiles, ne l’achètent pas aux prix normaux.
No man’s land : Vous avez parlé de grossistes importateurs, qui est-ce ?
Thomas Danflous : En fait, les producteurs mahorais vendent l’ylang à un collecteur qui le filtre et le revend à son tour à des grossistes qui sont basés souvent à Grasse, en Hexagone. Ces derniers vendent l’huile essentielle à des transformateurs ou des parfumeurs, qui, eux, fabriquent les produits finis qu’on trouve dans les grandes surfaces et pharmacies. Ceux qui extraient les fleurs et ceux qui les collectent gagnent peu, pendant que les grossistes et les transformateurs se remplissent les poches.
No man’s land : Et que fait l’Etat pour sauver la filière ?
Thomas Danflous : Pour être honnête, le Conseil Général de Mayotte ne fait rien. L’administration a baissé les bras, et, les quelques aides de la DAF (Direction de l’Agriculture et des Forets) ne pourront pas sauver la filière. Pourtant les producteurs mahorais produisent de l’ylang de qualité supérieure. L’ylang de Mayotte est sans l’ombre d’un doute le meilleur au monde.
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