6 février 2011

A l’ombre des badamiers

 Avant que Facebook soit ouvert à tous, les internautes comoriens dont la plupart vivent en France  se donnaient rendez-vous sur des forums (sic) de Yahoo.fr tels que Habari ou Bangwe Comores et Karibangwe pour converser sur des sujets sociétaux. Sadani Tsindami, ancien membre de ces réseaux sociaux, nous parle de ces ancêtres de Facebook et Twitter.  
Qasuda à Moroni

No man’s land : Comment avez-vous connu la liste d’échange d’information et de discussion Habari Bangwe-Comores?  

Sadani Tsindami : Le Bangwe, comment je l’ai connu ? En cherchant des infos sur le net, je suis tombé sur un lien proposé par un compatriote ; c’était en 1999, à une époque où mes relations avec la communauté comorienne s’étaient fortement distendues.

 No man’s land : Et quels étaient les thèmes de discussions à l’époque ?

 Sadani Tsindami : J’ai commencé par participer mollement aux débats dont les thèmes fusaient dans tous les sens, sans organisation : le Bangwe (place publique villageoise) à la comorienne. Il y avait à l’époque des interventions de qualité, orientées politiquement contre les putschistes qui venaient de s’approprier les rênes de l’Etat : c’était Azali Assoumani. J’ai pris part à la curée, puisque c’était l’homme à noyer dans la salive, sans savoir exactement ce qui s’y passait. Il faut dire que j’avais cessé de jouer au football avec la naissance des enfants. Il fallait que je trouve un autre terrain de jeu… Celui-là me convenait, était facile, moi caché derrière un écran et massacrant les bits et autres octets, sans coup férir.

Puis un jour, ô sublime autre hasard, j’ai découvert la rubrique littérature de ce Bangwe Habari Comores : les écrits compilés, surtout les textes poétiques, des extraits dont généralement on en retient le meilleur m’avaient énervés. Par contre, la bibliographie assez exhaustive sur les Comores m’a poussé à choisir quelques textes, puis à en parler autour de moi, en asseyant de déceler quelque chose, un frisson véritablement littéraire. Je ne le rencontrai pas. Du coup, j’ai remis le couvert sur le Bangwe et faisais la critique de quelques uns, dans un sens assez provocateur. La réaction ne s’est pas fait attendre : je me suis fait admonester sans dégâts. Dans cette arène, j’étais le toréador avec mon chiffon rouge et Dieu sait que des cornes ne se furent-elles pas acérées. On m’accusa de tout. On vérola mon ordinateur. On parla de ma famille alors que j’ai toujours écrit sous pseudo …

No man’s land : Quels impacts les forums ont eu  sur la société comorienne ?

 Sadani Tsindami : Bangwe Habari Comores, Karibangwe, m’ont sorti d’une sorte d’exil involontaire, travaillant dans le massif central et vivant de le Sud-ouest. Premier intérêt et non des moindres ; puis les joutes pluriformes ont quelquefois influencé parait-il des comportements « républicains » au bled. Personnellement, j’ai été surpris de lire mes opinions dans des journaux à Moroni. Le débat sur le Anda (grand mariage à Ngazidja), si je ne me trompe a été assez riche, foisonnant d’éclairage et a observé une certaine constance dans la durée et dans l’émergence des arguments des uns et des autres. Ces débats ont été constructifs dans l’émergence d’une nouvelle citoyenneté cybernétique : la reconnaissance des maux du pays que d’aucuns ne voulaient en entendre parler, soi-disant que chaque pays avaient ses tares et les nôtres devaient rester cachées. Puis il y eut le débat sur la littérature comorienne où des auteurs de talent comme Salim Hatubou avaient pris part, ce qui a mobilisé pas mal d’intervention, somme toute honorables et a permis la sortie de quelques textes d’excellence. Bien sûr il vit apparaitre aussi des bavardages d’un ennui à vouloir massacrer leurs auteurs, poètes à rimes doigtées, asthmatiques et éjaculateurs précoces sur des parchemins innocents. Je ne citerai pas de noms, mais bon, on ne canalise pas l’imaginaire avec des panneaux de signalisation comme on n’invente rien si dans la tête, il n’y a que de la flotte. Les poètes, écrivains opportunistes, atteints d’ hydrocéphalie  ont fini par avoir la grosse tête : je les ai mouchés avec «  Pour une poésie qui n’ose pas dire son Non » et j’ai retiré mon pied de l’arène. Et il paraît que les Bangwe virtuel sont moribonds, de toute façon, je vis dans un bled sans électricité et je n’ai plus d’ordinateur. Mon Bangwe a cessé d’être virtuel, il est désormais sous l’ombre des badamiers.

Partagez

Commentaires