« La délinquance des jeunes comoriens est une réalité de plus en plus prégnante à Marseille » rencontre avec Nassurdine Haïdari
Né en 1978 à Marseille, Nassurdine Haïdari, de parents originaires des Comores, est adjoint au maire du 1er secteur de la cité phocéenne, en charge de la vie associative, des sports et de la jeunesse. Après une maîtrise de littérature et langue arabe, il intègre l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, où il est admis en thèse doctorale après avoir obtenu un DESS et un Master II recherche. Sa thèse est consacrée aux pratiques de l’Islam en France. Interview.

No man’s land : Peut-on vraiment parler de diaspora comorienne en France ?
Il faut une conscience « diasporique » pour faire diaspora. Or, chez les Comoriens il n’y a pas cette conscience et cette unité de corps. Quoique ce qui est intéressant, c’est qu’il y a une logique d’aide aux Comores. Cette aide financière n’a pourtant pas d’ancrage économique. Car cette aide financière est très localisée. Elle commence et s’arrête au périmètre de la famille. Cette diaspora n’est donc pas arrivée à créer des structures d’aides globales, qui sortiraient du cadre villageois. Par exemple il n’y a pas de grande structure comorienne à Marseille ou en France qui aide les Comores sans prendre en compte les logiques villageoises. C’est-à-dire aider les plus pauvres, ceux qui en ont le plus besoin. Donc, il n’y a pas d’unité d’action et de vision. Cependant, il y a ici plus qu’ailleurs deux dénominateurs communs qui sont l’ « origine » et l’« expérience commune ».
No man’s land : Qu’entendez-vous par expérience commune ?
L’expérience commune est un parcours d’intégration et d’insertion sociale qui pour la communauté comorienne a d’importantes similitudes. En France cette expérience commune repose sur une grande précarité de la communauté comorienne. Sur une incapacité à travailler avec les administrations locales et les institutions nationales. Et sur un repli communautaire qui s’accompagne par une certaine violence notamment des plus jeunes qui, exposés à la souffrance et au manque de moyen dû à une aide outrancière des parents vers les Comores, se réfugient malheureusement dans la délinquance. Je condamne tout en essayant de comprendre.
No man’s land : Donc ce qui est dit dans les médias au sujet des Comoriens comme étant la cause de la plus grande partie de la délinquance à Marseille est vrai ?
Non. Cependant la délinquance des jeunes comoriens est une réalité de plus en plus prégnante à Marseille. Cette triste réalité a des racines économiques et sociales, elle est la résultante d’un déséquilibre financier entre une aide vers les Comores qui palie aux défaillances d’un Etat qui n’assume pas ses responsabilité et qui n’a jamais su gérer son indépendance. Telle est la réalité. L’Etat comorien tue aux Comores comme il tue aussi en France. Les propos que je tiens sont durs, ce sont des accusations lourdes mais c’est la réalité. Tuer quelqu’un ce n’est pas l’éliminer physiquement, c’est en premier lieu l’éliminer socialement. Et quand vous avez un Etat qui ne fait pas ce qu’un Etat devrait faire, et, que vous avez parallèlement des personnes qui se substituent à cet Etat, qui vont lever des sommes importantes vers les Comores ; c’est l’éducation de leurs propres enfants qui est mise en péril.
Ces sommes ponctionnées directement du foyer créent de la frustration, de la révolte, de la délinquance, voire même un rejet de la communauté comorienne.
No man’s land : C’est-à-dire ?
Ces enfants-là rejettent même la culture comorienne parce qu’ils pensent qu’elle ne repose que sur un rapport mercantile. Ces enfants ne sont pas dans le rejet de la culture française parce qu’ils sont profondément Français. Ils sont en révolte contre le système dans lequel la France les a mis. Ils sont en révolte contre cette réalité française qui est discriminante à leur égard et qui ne leur donne pas les mêmes possibilités d’accès au travail, d’accès à l’éducation, d’accès à la culture. Mais la révolte ne veut pas dire le rejet. Par contre ces jeunes-là sont en rejet de la culture comorienne, ou de ce qu’ils pensent être la culture comorienne. C’est-à-dire que ces jeunes-là ne comprennent pas comment une communauté n’arrive pas à se structurer, comment aujourd’hui l’entre soi ne fonctionne pas. Enfin, comment expliquer à ces jeunes qu’une partie non négligeable de la communauté ne pense qu’à construire un pays dans lequel ils ne vivent pas, tout en délaissant complètement la vie dans laquelle ils sont. Ces jeunes ont des besoins et souvent les familles ont d’autres préoccupations. On ne peut pas vivre ici comme si on n’était pas là. Je pense que cette appartenance à la communauté comorienne devient problématique pour une partie des plus jeunes d’entre nous.
No man’s land : Corrigez-moi si je me trompe mais à Marseille qui dit Comorien dit Grand-comorien. Les autres compatriotes sont désignés par le qualificatif Anjouanais, Mohélien, Mahorais ou tout simplement m’masiwa (insulaire).
C’est vrai, en France comme aux Comores il n’y a pas d’unité comorienne. C’est une chose que notre génération devra construire. Nous devons construire l’unité nationale. C’est quelque chose que nous ne connaissons pas. Le sentiment d’appartenance ne dépasse pas pour certains le village. Par exemple à Marseille nous devons avoir des relations plus qu’intimes avec nos frères Anjouanais, nos frères Mohéliens et nos frères Mahorais. Et cela implique un défi culturel et linguistique. En effet, nous avons une belle langue commune mais qui connait des variantes que nous devons respecter et apprendre pour créer cette unité linguistique. Je pense que la France est un terrain extraordinaire pour apprendre des Anjouanais, des Mohéliens, des Mahorais, et des gens de Ngazidja. Mais pour créer cette culture comorienne que nous appelons tous de nos vœux, il faut un effort collectif. Et cet effort collectif n’est pas présent. Il ne se prononce pas. Peut-être acculée par nos problèmes du quotidien, la communauté comorienne ne peut se projeter. Cette absence de projection est accentuée par des conditions de vie extrêmement difficile dans les quartiers sensibles de Marseille et notamment dans les quartiers nord de la ville. Des quartiers qui sont ravagés par le trafic de drogue, par le chômage de masse, par l’insécurité, par la violence et par tous les maux. Donc nous avons cette expérience-là, cette expérience de l’immigration, de l’insertion, de l’intégration, qui est une expérience traumatologique.
Néanmoins, c’est bien d’avoir parlé de cela. Parce que moi je viens de Ngazidja. Je pense qu’en raison du repli communautaire à dimension villageoise, certain ne voit pas plus loin que le bout de leur nez. Il faut que nous puissions d’une manière collective insérer tous les Comoriens dans un projet commun. Parce que lorsque vous êtes à Marseille, que vous êtes de Mayotte, d’Anjouan, de Mohéli, ou de Ngazidja, vous êtes Comorien. De plus, nos familles respectives ont des liens historiques avec les Anjouanais, les Mahorais, et les Mohéliens. Donc vous voyez qu’il y a un brassage naturel et historique. Maintenant il faut que nous puissions fortifier ces liens en donnant une consistance socio-pratique tout en inventant les Comores de demain.
No man’s land : Cela veut dire ?
Cela veut dire que ce sentiment d’appartenance à une communauté existe. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises où la communauté dans son ensemble a été éprouvée, par exemple lors du meurtre d’Ibrahim Ali, ou lors du crash du vol Yemenia. Toutes les barrières que nous avons citées se sont envolées. Il n’y avait que des Comoriens. Une seule communauté. Tous unis face à l’adversité. Mais cette même union que l’on peut voir dans ces moments de peine, de drame, on ne la rencontre pas toujours dans les moments où il faut construire ensemble. On ne la rencontre que dans l’épreuve. Et je pense qu’il faudrait rencontrer cette énergie-là lorsqu’on est appelé à construire quelque chose ensemble. Mais il faut un cap. Maintenant je pense qu’au sein de cette communauté il va falloir voir apparaître des leaders d’opinion. Des gens qui poussent, qui parlent, qui dénoncent, qui pointent les véritables problèmes de la communauté et qui trouvent les solutions appropriées.
No man’s land : Mais des leaders ont toujours existé au sein de la communauté comorienne ?
Oui, mais des leaders de tables ! Pour moi ces gens-là ne sont pas des leaders d’opinion, ce sont plutôt des « conteurs ». Ceux qui ont cette mémoire collective, qui ont cette prestance, qui ont ce langage pour faire passer quelque chose, mais il n’y pas de message politique. Nous sommes (si vous voulez) dans une crise politique qui ne dit pas son nom, car il n’y a pas de vision. Il n’y a pas de perspective d’avenir. Quand on regarde les autres communautés à Marseille ils ont une perspective. Ils ont des écoles de formations dans lesquels les plus jeunes sont suivis scolairement. Aujourd’hui, nous ce que nous faisons, c’est reproduire le système des shioni (école coranique) que nous avons aux Comores, sans y apporter une once de modernité, sans y apporter une once d’adaptabilité.
Aujourd’hui nous devons, nous nouvelle génération, être au rendez-vous de tous les défis que nous pose la vie en France. Il faut des gens qui feront référence, qui donneront à la jeunesse l’envie de progresser. Mais de grâce évitez de nous parler de ces notables comme seule remède aux maux de la communauté ! Ou de cette notabilité à acquérir pour devenir un homme ou une femme au sein de la communauté. Pensez-vous qu’il suffise de faire le anda (Grand mariage) pour être et devenir respectable ? Moi ce n’est pas de cette façon-là que je vois les choses. Pour moi un leader d’opinion, c’est quelqu’un qui, par sa droiture, son humanité, son parcours de vie, professionnel, universitaire, son exemplarité dans la société, son engagement social, donne envie de réussir. La société qui est la nôtre est une société qui se base sur le travail, le mérite, la méritocratie, l’effort, mais pas sur un simple anda qui ouvre souvent les portes de la respectabilité à des personnes qui en sont très éloignées.

No man’s land : On a l’impression que deux habitus, sinon deux visions du monde, s’affrontent au sein de la communauté comorienne à Marseille. D’un côté, il y aurait les ainés qui vivent avec des mécanismes villageois, sinon holiste et fataliste, et d’un autre des cadets animés par des mécanismes individualiste et cartésien dont seule la société capitaliste connait le secret.
Je me suis construit dans un autre monde que celui de mon père. Et, ceux qui naissent ici ne peuvent pas prendre une culture qui n’est pas adaptée à leur environnement. Aujourd’hui, la communauté comorienne c’est quoi ? Vous avez 30, 40% de gens qui sont arrivés du pays, nos parents, mais les 60, 70% c’est nous. Il y a un partage des responsabilités. Les vieux ne sont pas les seuls responsables de notre situation. Qu’est-ce qu’elle fait cette génération de jeunes nés ici? Elle est où cette génération qui doit aujourd’hui porter quelque chose ? Porter un avenir ? Porter un message ? Porter une vision ? Si on n’y arrive pas, ce sera très dur pour nous. On s’éteindra. J’ai peur que cette communauté en mal d’organisation disparaisse culturellement.
Vous savez, je ne partage pas trop la thèse de l’habitus. Parce que l’habitus ce sont des stratégies que l’on met en place .Et chacun a sa stratégie. Je pense en parlant du modèle comorien que c’est une stratégie d’organisation sociale que les gens ont mise en place pour palier à certains défis sociétaux. Cette organisation sociale qui peut-être a raison d’exister aux Comores n’a pas de raison d’exister en France. Nous devons faire autre.
No man’s land : Quelles solutions préconisez-vous pour remédier au problème ?
Etant donné que le mal est bicéphale, il faut agir sur les deux sources du mal. Toute intégration de la communauté comorienne pleine et entière passera par une amélioration de la situation politique aux Comores. J’en suis persuadé. Tant qu’il y aura une perfusion économique, il y aura une dépendance…… Je pense qu’on doit arrêter la perfusion financièrement. Nous devons demander aux Comoriens qui vivent aux Comores de prendre leur responsabilité, de se révolter contre le simulacre d’Etat, ce grand n’importe quoi où personne ne gère rien, où tout est géré n’importe comment, où il n’y a pas de responsable. C’est une partie du problème. Et tant que ce problème ne sera pas géré les Comoriens auront des difficultés.
Bien que je pense que dans un temps le problème sera différent parce que ceux qui sont nés ici n’entretiennent pas une relation financière avec le pays comme nos parents. Car la nouvelle relation des jeunes comoriens avec le pays d’origine a changé et petit à petit le volume d’argent qui part vers les Comores va s’étioler. Et là va se poser la question de la responsabilité comorienne des Comoriens vivant aux Comores. Cela est une question que nous ne pourrons pas éluder.
La deuxième question va être celle de la participation de cette communauté à la vie locale. Tant que les Comoriens n’auront pas compris qu’il faut se structurer, qu’il faut être ensemble pour peser, ils seront la cinquième roue du carrosse. Il faut se rassembler. Il faut peser politiquement. Il faut qu’on puisse exister politiquement. Qu’on puisse s’organiser financièrement. Il faut faire des choses, mettre en place des actions. On est dans le combat permanent dans ce pays. Rien n’est acquis. Pour améliorer la situation des Comoriens, tout doit passer par une amélioration économique, par une amélioration de l’insertion sociale, une insertion dans les milieux du pouvoir, tout cela doit faire partie de cette stratégie commune.
No man’s land: Faire diaspora?
Oui, il faut créer cette communauté de vision, de destin. Cette communauté qui transcendera les différences et qui ira vers quelque chose qui ressemblera à quelque chose. La communauté comorienne à Marseille ne ressemble à rien. Moi je crois en la vertu de la rupture. Je crois que pour avancer des fois il faut briser les chaînes, qu’il n’y ait pas de demi-chaînes. Toute tradition n’est qu’une façon de penser le réel à un moment donné. Ce qui était bon il y a 200 ans pour la population comorienne ne peut pas être bon aujourd’hui, et ne sera pas bon dans 200 ans. L’adaptabilité est le mot clef. Sans trahir. Sans renier.
Qui faisait le anda à l’époque de mon grand-père ? A l’époque, le système correspondait au niveau de vie des gens. Les gens faisaient le anda en fonction des moyens qu’ils avaient. Le système que nous défendons aujourd’hui n’est pas approprié à la population. Le système moderne contredit la tradition. Le système n’est pas adapté aux réalités sociales et économiques du pays. C’est un système qui est devenu un poison pour ceux qui le défendent. Je suis donc pour la rupture. Il faut que la communauté comorienne vive dans son temps .Certes il faut s’inspirer du passé pour voir ce que fut l’intelligence, l’ingéniosité de nos ancêtres d’avoir pensé leur société. Le anda n’est pas qu’un mariage, c’est un système social assez intéressant. C’est un système qui hiérarchise et organise tous les paliers de la vie. C’est quelque chose de beau à voir. Mais sincèrement ce système n’est plus adaptable aujourd’hui à la société que nous connaissons.
No man’s land : Mais le anda est considéré comme le pilier majeur de la solidarité comorienne ?
Ce mariage n’est qu’une opération d’autopromotion orgueilleuse. Une mise en scène. L’acte n’est pas désintéressé. Nous n’avons pas trouvé les chemins qui nous réconcilient avec la solidarité alors que nous sommes d’une société basée sur l’entraide. Il faut inventer des nouvelles formes de solidarité voire un autre mariage qui correspondrait aux codes comoriens, dans la pure tradition des Comores, et qui permettrait ou à l’ensemble ou à une petite minorité de gens solvables comme c’était le cas avant, de faire perdurer la tradition.
No man’s land : Mais à Marseille ce sont ceux qui sont nés ici qui font le anda ?
Oui c’est vrai. J’ai fait le « anda marseillais » avec beaucoup d’argent.
No man’s land : Alors pourquoi l’avez-vous fait ?
J’aime ma femme et pour me marier avec elle j’aurais dépensé des cents et des milles. Lorsque vous voyez des mariages dans d’autres communautés, vous êtes dans le même rapport de prix. Ce n’est pas le rapport de prix qui me gêne. C’est cette concurrence frénétique, c’est-à-dire « Si toi tu le fais, moi je dois faire plus que toi ». Et c’est cela qui est malsain. Ce qui est malsain c’est aussi l’hypocrisie dans certains mariages. Quand vous voyez des familles aller marier leur fille à un homme aux Comores tout en sachant que le petit copain est en France et que la mariée reviendra vivre avec lui, c’est de la prostitution légalisée. On est vraiment dans la loi du plus pervers avec la bénédiction des parents et de ces imams aveugles de toute déontologie.
No man’s land : Le 14 mars 2012, lors de la campagne présidentielle, François Hollande a tenu un meeting au Dôme de Marseille. On a vu que des Comoriens étaient au premier rang de la scène. Sincèrement le vote comorien dont parlent souvent les médias existe vraiment ?
Les Comoriens sont passionnés de politique. Ils font de la politique sans s’impliquer activement dans la vie de la cité. Le vote comorien existe, mais il ne correspond pas aux aspirations et aux attentes de la communauté Comorienne. Les Comoriens font plutôt de l’affichage politique.
No man’s land : Voyez-vous une lueur d’espoir?
Oh que oui ! En une génération la communauté comorienne a fait un pas de géant. En une génération des docteurs, des avocats, des dentistes, des ingénieurs, des ratissant de qualités, bref une pénétration sociale intéressante et le phénomène va s’amplifier. Je vois aussi une combativité émerger, une volonté de sortir des injustices sociales et une profonde attente de connaitre les richesses de la culture comorienne.
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