En finir avec Bob (Denard) : Revendication d’un parricide / de Sadani Tsindami

Article : En finir avec Bob (Denard) : Revendication d’un parricide / de Sadani Tsindami
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12 avril 2011

En finir avec Bob (Denard) : Revendication d’un parricide / de Sadani Tsindami

C’est une musique que l’on aimerait entendre souvent. Une musique au rythme des mots qui nous parlent, parce qu’ils nous concernent et traduisent cet air violent et triste des histoires confisquées. Loin des aubades viriles des assassins de l’aube, des orgues de Staline crépitant dans les imaginaires de peur, un instant de pur plaisir, comme une sonate au crépuscule précède une bonne nuit aux côtés de nos amours.

en finir avec bob/ source : editions-harmattan.fr
en finir avec bob/ source : editions-harmattan.fr

Il s’agit de donner la mort et pas n’importe quelle mort, une mort qui délivre et qui rend fiers.

Un livre, un Chien, une histoire et un pays.

Il en est de ce que j’entends louer, « en finir avec Bob », opus du poète, nouvelliste et romancier Comorien, Nassuf Djaïlani, natif de Chiconi, Mayotte, œuvrant dans la droite ligne des Serrez-la-main, ces illustres aînés qui ont combattu le double péché insulaire, le reniement et le séparatisme.

En finir avec Bob

L’entreprise de l’auteur ?

« Se réapproprier ….l’histoire [comorienne]… fouiller… interroger, pour reconstituer des trajectoires rompues ». Et il a réussi en ce sens que sa dernière livraison littéraire pose et dispose de notre Histoire récente avec un H majuscule.

Un jeune homme de 25 ans, a nourri et réussi le projet d’assassiner un autre homme.

La belle entreprise !

Cet autre homme l’est-il vraiment ? Qu’est-ce un homme, finalement ?

Il a décidé de faire passer à trépas, Bob Denard, le mercenaire beau frère de certains d’entre vous, qui a assassiné deux chefs d’état de chez nous et qui reste un mythe pour des esprits égarés. Il a réussi. Et de quelle manière dis donc !

Il l’a dépecé comme on prépare un saurien, une tortue dans le clair obscur. Pour un festin de pauvre.

Il fallait qu’un jour un Comorien talentueux, ose cette sortie. Et Dieu que cela fait plaisir !
Plaisir de lire ces instantanés visuels, plaisir de sentir la colère émergeant suivi d’actes définitifs : Tuer un mercenaire qui a tué tant d’Africains. Tant de Comoriens, même si c’est une fiction. Mais la fiction, n’imite t-elle pas le réel ?

Plaisir d’outre-tombe

Ahamada C., jeune Comorien, mort, fusillé sûrement, se définit et définit l’acte cathartique d’avoir tué le père. Ce père, c’est Bob Denard. Par forts détails, il énumère comment, son couteau s’est planté dans les viscères du mercenaire, jusqu’à la mort de ce dernier. Avec la satisfaction d’une mission accomplie entre dérision et cynisme, tout cela devant un tribunal ….

Après avoir tué Bob, Ahamada C. a été occis lui aussi. Mais avant, il a subi un texte, un texte colonial, une loi écrite par les vainqueurs, au tribunal de Moroni.

Ici le loufoque se dispute à la bêtise du président du tribunal. Dans ses frusques comiques, dépassé par l’avènement d’un monde en gestation, le juge ne comprend pas comment, un jeune Comorien a pu tuer, cette honorable personne, Monsieur Mustwafa Mhadjou et exige tout le respect dû à Bob Denard, dans le langage emporté d’Ahamada C., évoquant minutieusement la mort du Chien. Evidemment, Ahamada C. a copieusement « pissé dans la raie » de Bob, devant monsieur le président du tribunal.

Pour Ahamada C. cet individu est un « grand salaud », point barre. Et il a fait œuvre utile en lui faisant dégouliner le sang par la moindre aspérité de ses pores, à ce porc !

Ahamada C. dans sa tombe, ne fait pas que se remuer, il se remémore et nous rappelle qui est sa victime, -est et non pas était- car, Bob Denard est de ces spectres obsessionnels que l’Histoire comorien ne retient qu’au présent, tellement ses péchés- L’enfer aura ses restes minables- ont marqué nos années de jeunesse et hante encore et toujours nos vies.

Le discours est direct dans « En finir avec Bob ». Point de chichis. Les chiens ne le méritent pas. Point de concessions, les mercenaires devraient être voués à ce genre de mort. Point de regrets. Un révolutionnaire sait toujours ce qui l’attend. Une mort expéditive dans un pays aux lois des autres.

Au tribunal, Ahamada C. explique au juge, le sens de son acte : Un acte de contrition. Un rachat de et pour son peuple, à l’instar de ce garde qui devait le pendre et qui s’y refusa, estimant que quiconque aura donné la mort à tel individu, revêt les habits de l’héroïsme .On l’aura compris toute la démarche procède non pas de l’analyse mais de la catharsis.

Plus tard, La mère d’Ahamada , reprend symboliquement le combat de l’espoir, en plantant des mots dans un jardin imaginaire : Des mots au sens de liberté, de justice, de dignité. Pour garder le souvenir digne d’un fils digne d’être son fruit.

Malheureusement, de ces efforts, la mère ne reçoit pas non plus de réponse et désolée et attristée, retombe dans la morosité et le désespoir caractéristiques, cette sorte de fatum, qui fait naître des figues de barbarie à la place de roses souhaitées : « C’est pathétique, mais le génie de ce pays réside dans notre capacité à poser les bonnes questions et d’être éternellement résolus à apporter les mauvaises réponses »…Paroles d’une mère !

Dieu omniprésent, en son sein, Ahamada C., lui a permis de dire le mot de la fin, de sa tombe : « Fouiller, fouiller toujours….dans une quête désespéré du sens »…

Ce sens, c’est le sens comorien, la réhabilitation de notre étant focalisé autour de notre propre identité et de notre approche par rapport au monde. En terme littéraire puisque EN FINIR AVEC BOB est une fiction socialisée et historiquement testimoniale, Nassuf pose la véritable question de l’affranchissement et de la dignité de l’homme, quel qu’en soit le prix.

La mort d’Ahamada Combo- avec le symbole obsédant du nom de Combo- connu pour être le fils de Bob Denard, est un clin d’œil, pour signifier comme dit le SAINT Coran « Faman Ya’an mala Mithkala Dharati haïran ya ra’u » . Comme le Christ a porté sur ses épaules, les péchés de son peuple, nous accordons au Combo fictif de « En finir avec Bob », la rémission des nôtres.

Il nous a débarrassés de nos cauchemars, du honni Bob Denard !

Personnellement, j’ai trouvé le ton juste, l’écriture limpide, la compréhension immédiate et le sens interrogateur. Le livre est parsemé de symboles identificateurs. 6 juillet 1975. 5, place de l’indépendance. Protocole du don de parole. Tsi unika ‘om drongo… Le Coran. Les bœufs que l’on mène à l’abattoir …

J’ai aimé. De sorte que dans ce little bled où je vis, en Comores traditionnelles, j’ai tout fait pour rencontrer l’auteur. Il était là, entre un Trembo (moi) et un coca (lui). Nous avons devisé, ri un peu (notre condition ne permet pas la connivence avec le malheur).

Nassuf, Chapeau !

Lisez « En finir avec Bob », on pourra en parler finalement, ensemble, comme au beau vieux temps de l’exil.

Sadani Tsindami

Œuvres de Nassuf Djailani :

Théâtre :

En finir avec Bob- L’Harmattan, 2011
La vertu des Ombres-Inédit, 2006 ( monté par le théâtre Djumbé)
Les balbutiements d’une louve- inédit
Sur le pic du hurlement- inédit
Cette schizophrénie que nous avons en partage-inédit

Poésie :

Le songe d’une probable renaissance- Komedit, 2010
Roucoulement (variations poétique)-Komedit, 2006
Spirales. Editions les Belles Pages ()Marseille, 2004 (épuisé)

Roman :

Comorian vertigo- inédit
Lorsque j’étais une espérance (à paraître)
Cette morsure lente et insidieuse (à paraître)

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