11 octobre 2010

Koni, le paradis des damnés

Si quelqu’un te dit qu’il a le courage de supporter la faim, c’est qu’il n’a jamais été abandonné en sa compagnie

Le Livre de la sagesse nègre

Nombreux sont ceux qui croient à tort que les populations des localités comoriennes sont clairsemées à cause des mouvements migratoires vers la France ou Mayotte. Sachant que Mayotte est pour l’Anjouanais ce qu’est Marseille pour le Grand-comorien. Evidemment la répartition de la densité entre les îles reste importante et inégalitaire : 517h/km² pour Anjouan, 227 h/km² pour la Grand-comore et 99 h/km² pour Mohéli : soit une moyenne de 273 h/km² pour l’ensemble du pays. Cette surpopulation résulte aussi d’une absence de centres d’intérêt en tant que tels pour les jeunes, qui se tournent facilement vers le sexe, et, deviennent précocement parents. Encore si la lutte contre la mortalité infantile enregistre des succès éloquents, les campagnes de sensibilisation pour le planning familial restent vaines. Conséquence, l’insécurité alimentaire ou la dépendance de l’agriculteur vis-à-vis de la prochaine récolte n’est plus que source d’exode rural, elle incite l’homme à détruire la faune et la flore pour étendre ses parcelles, mais aussi pour avoir du bois de chauffe, du charbon de bois, du sable pour construire un gîte. Reportage.

Dimanche 18 avril. Après avoir parcouru durant une heure layons et monts, croisé bambins en proie à la sous-alimentation, avec moins de 2000 calories par jour, [squelettiques, ventres ballonnés, cheveux jaunâtres] et des femmes en haillons que ne leur restent que la peau sur les os, nous arrivons enfin à Koni N’gani.

« Ce faix de bois, je vais le vendre, si jamais il y a quelqu’un qui veut bien le prendre, à 1000fc (2 euros) maximum. Puis avec cet argent je vais payer une dette à l’épicier pour pouvoir encore acheter à crédit deux autres kilos de riz. J’ai commencé à couper les arbres pour avoir du bois de chauffe depuis 2002, après que je me suis fait expulser de Mayotte. Je fais de la culture maraîchère à côté .Mais ce n’est pas tous les jours qu’on récolte ce qu’on a semé. C’est grâce au bois de chauffe que j’arrive à entretenir mes 3 enfants et ma femme. Bien sûr qu’on détruit l’environnement, mais on n’a pas le choix. On doit vivre… » nous a confié, tout méfiant, Maoulida Saïd, âgé de 25 ans et analphabète en français.

A Koni Jojo et Koni N’gani, la misère se lit dans les yeux des gens. La pauvreté crève les yeux. A part quelques bornes fontaines, empruntes vivaces de la présidence de Bacar, personne n’a l’eau dans sa case. Et il faut aller la puiser dans une rivière qui tarit tous les jours, comme une centaine d’autres sources d’eau de l’archipel. Et bien qu’Anjouan soit réputée d’avoir des cours d’eau en abondance, c’est seulement 15% de sa population qui a accès à l’eau courante. Pour ne pas dire eau potable vu les nombreuses maladies qu’elle provoque pendant les saisons de pluies : typhoïde, choléra etc. A la Grande-Comore et Mohéli, se sont respectivement 30% et 80% des habitants qui ont accès à l’eau courante.

« Tous ces padzas sont récents. Avant les plaines étaient parsemées d’arbres. Mais au fur et à mesure que le village s’agrandit, les villageois coupent les arbres pour en faire du fagot et les vendre. La vente du fagot nous permet juste d’acheter le riz. On mange rarement de la viande ou du poisson. Par contre on mange beaucoup de feuilles de tarots ou de maniocs. Comme élever des bœufs n’est plus possible à cause des voleurs, la vente de fagot est la seule activité génératrice de revenue » nous a dit Ahmadi Halidi de Koni Jojo, la soixantaine, père de 9 enfants, et qui dans ses bras, il tenait un enfant rachitique dont les yeux affichaient une manque de protéine.

Les padzas, la mise à nu ou la stérilisation des sols prévaut dans tout l’archipel. Et personne n’ignore que le déboisement accéléré par les délestages et la hausse du prix du pétrole lampant et la construction de maisons a favorisé comme érosions et inondations ces dernières semaines. Et si la faune comorienne est appelée à disparaître bientôt, si rien ne se fait rapidement, la flore quant à elle n’est pas épargnée. En plus des ordures et déchets qui longent, pullulent et polluent les côtes des îles, les gens s’y pressent chaque jour pour extraire du sable et différentes roches pour la revente.

« Pour extraire du sable les chauffeurs de camions payent 10 000 fc (20 euros) pour le trajet. L’argent recueilli permet la construction d’un marché et d’une mosquée dont les travaux ont déjà commencé » nous a dit à Bambao M’tsanga Amadi Houmadi. Qui bien que né vers 1975, ignore, puisque pas informé, tout ce que l’extraction du sable peut avoir comme retombés sur l’environnement.

Néanmoins, tous les opérateurs économiques d’Anjouan, comme à la Grande-Comore, se sont tournés vers l’extraction du sable et de différentes roches qui est devenue un business vraiment juteux. Si florissant que créer une pseudo-association de protection de l’environnement. Ces businessmen sont convaincus que le Comorien, trop rattaché à ses coutumes, consomme plus de fers et de ciment que de riz. D’ailleurs, comme partout dans le monde les riches polluent et détruisent plus la terre que les pauvres étant donné que leur commerces reposent en partie sur cette destruction.

En parlant de construction, il est à savoir que toutes les belles maisons des médinas sont le fruit d’une importante destruction de divers écosystèmes puisque anciennement construite de coraux et de bois. Toutefois, la pêche au filet, source de nombreux conflits inter-villageois, et au thephrosia vogelii, que pratiquent beaucoup de femmes de Bimbini à l’instar de Salima Mouendhui, ne sont point du reste dans la dégradation de la nature.

Enfin, ce qui est surprenant dans l’histoire, c’est que tous les gens qu’on a eu à rencontrer étaient méfiants parce qu’ils croyaient qu’on était des policiers. Parce qu’ils sont tout le temps persécutés et sanctionnés par ces derniers. Nous, en tout cas, nous faisons part aux autorités étatiques cette phrase tirée du Livre de la sagesse nègre : « Si quelqu’un te dit qu’il a le courage de supporter la faim, c’est qu’il n’a jamais été abandonné en sa compagnie ».

Au lieu de construire un bureau de poste et télécommunication- mettre en place une machine à arnaque, à Koni Djodjo- il fallait d’abord savoir que dans ce village les gens n’ont ni accès à l’électricité, à l’eau courante, à la santé, à l’école (le taux de déscolarisés atteint les 60%). Reste à dire qu’il est temps de suivre à la lettre et ce qui a été dit lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro de 1992 et les Objectifs du Millénaire pour le Développement. « Pour faire des grandes choses, il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux » disait Montesquieu. Pour dire que le développement doit prendre en compte la réalité du pays.

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