9 janvier 2011

Ces fêtes qui nous ressemblent

F.D
F. D

Une fête, c’est comme un miroir. Elle nous renvoie ce que nous sommes. Et nous sommes d’un pays qui croule de plus en plus sous la précarité.

Il y a dix ans encore, à chaque début d’année musulmane, au mois de muharram, à la veille de la fête shiite de l’Achoura, les enfants du village de Tsembéhou se précipitaient dès l’aube à la rivière de Hamdou, où ils se purifiaient en se jetant dans l’eau et en lavant leur tablette en bois. Ce bain matinal était religieusement baptisé uhowa um’waha, qui signifie littéralement se baigner dans la nouvelle année. Ensuite, les bambins se rendaient aux madrasas où ils entamaient le djere, une lecture de l’alphabet phonique arabe et des derniers versets du Coran. Enfin, ils s’en allaient, les talibés en éclaireur, récolter des taros et des ignames dans les montagnes, notamment Dzialandze, Dzialautsuga, Hamuriyo et milimani Dindri. Les tubercules une fois récoltés étaient consommés au matin et au soir de la fête de l’Achoura. Et d’après les anciens de Tsembéhou, le début de l’année musulmane tombait toujours à pic entre la fin du kousi (l’été)  et le début du kashikazi (la saison des pluies). La récolte servait à  consommer la fête de l’Achoura en beauté mais aussi à avoir des provisions pendant toute  la saison des pluies. « Dans les années 60, se souvient un ancien, les denrées alimentaires comme le riz se faisaient rares. Et comme la société coloniale le Bambao avait fait de toutes les terres cultivables des plantations de sisal, d’ylang, de jasmin etc, les villageois n’avaient que de modestes parcelles sur les montagnes pour cultiver des tubercules et d’autres cultures vivrières».

Aujourd’hui, les villageois de Tsembéhou ne fêtent plus l’Achoura. Peut-être est-ce parce que le riz ne se fait plus rare avec le passage des kotria et autres djahaz (boutres) aux bateaux à moteur. Ou peut-être est-ce à cause de l’émigration vers Mayotte et la Grande-comore de ces jeunes qui considèrent le travail de la terre comme ingrat et qui ont du coup laissé  de nombreuses terres à l’abandon. Ou peut-être est-ce à cause des médecins qui disent que consommer beaucoup de tubercules provoque le goitre.

Toutefois, on célèbre le Miraj à Tsembéhou. Dans l’Islam, c’est dans la nuit du Miraj, que le nabi Muhammad est, du toit de la mosquée de Jérusalem, monté -à dos du Bouraq- aux cieux où Allah lui a recommandé les cinq prières quotidiennes. Mais à part l’abattage des zébus qu’une minorité de crésus va sauvagement se partager, l’ambiance de la fête du Miraj est plutôt morose que festive. Et cette ambiance morose est similaire à celle des fêtes des Aïd-Al Kabîr (fête qui marque  la fin du pèlerinage à la Mecque) et Aïd-El fitr (fête qui marque la fin du ramadan). Désormais depuis une décennie, plus de vêtements pour les enfants pendant les Aïd et le Miraj. Désormais depuis une décennie,  plus de bols copieux de riz pendant les Aïd et le Miraj. Désormais depuis une décennie, plus de galettes aux noix de coco pendant les Aïd et le Miraj. La société de consommation fraîchement atterrie sous nos tropiques avec ses acolytes, la cherté de la vie et la baisse du pouvoir d’achat, fait que les fêtes, qu’elles soient profanes ou religieuses, ne soient plus des moments formidables pour se rassembler. De nos jours les fêtes sont devenues des miroirs. Elles nous renvoient la morosité de nos faciès et la précarité de nos sociétés.

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