27 août 2011

Interview avec Soilihi Mahamoud, procureur de la République

Pas d’aménagement de territoire sans une réglementation foncière

Soilihi Mahamoud est magistrat de profession. Anciennement à la tête du ministère de la culture, de la jeunesse et des sports, il est aujourd’hui Procureur de la République. Il nous parle à travers cette interview de l’insécurité dans les exploitations agricoles et des problèmes liés au foncier aux Comores.

Procureur Soilihi Mahamoud
Procureur Soilihi Mahamoud

No Man’s Land : Nombreux sont les agriculteurs qui se plaignent de l’insécurité dans leurs exploitations. Qu’avez-vous à dire par rapport à ces plaintes ?

Soilihi Mahamoud : L’insécurité dans les exploitations agricoles a toujours existé dans notre pays. Aucune génération d’agriculteurs n’a été à l’abri des maraudeurs, encore moins des animaux laissés en divagation. Toutefois, pour le bien-être de toute la société, plus de la moitié de notre population est paysanne, vit exclusivement grâce à l’agriculture et à l’élevage, il nécessite une application rigoureuse des lois, afin de mettre un terme à cette injustice. Il est temps que nos gouvernants fassent preuve d’éthique et de justice sociale, étant donné que tout Etat a pour devoir de protéger tous les hommes, ainsi que leurs biens. Dans beaucoup de localités de notre pays, ce sont les chefs de village qui essayent de remédier, d’une manière informelle, puisque cela ne relève pas de leurs compétences, les problèmes liés à l’insécurité dans les exploitations agricoles. On ne peut les condamner, en raison de la vacance de pouvoir que connaissent beaucoup de nos localités.
En somme, il est temps que nos gouvernants augmentent l’effectif des policiers et gendarmes, afin que ces derniers puissent faire respecter l’ordre sur tout le territoire, en ordonnant que les animaux soient tenus en laisse, en empêchant les maraudeurs de sévir. Et pour que ces derniers travaillent convenablement, il ne faut plus qu’ils soient payés au rabais.

No Man’s Land: Y-a-t-il des dispositions dans le code pénal qui punissent les maraudeurs et les personnes qui laissent leurs animaux divaguer ?

S.M. : Naturellement, il y a des textes, à l’instar de l’article 368 du code pénal, qui punit le vol de produits agricoles. Néanmoins, c’est surtout le vol de produits de rente qui est sévèrement puni par la loi, sûrement pour ce qu’ils représentent en valeur économique. Pour ce qui concerne la divagation d’animal, l’article 423 du code pénal interdit à tout exploitant agricole victime de dégât causé par un animal en divagation de mutiler ou d’abattre l’animal, surtout si cet animal a été attrapé en-dehors de la propriété. Si l’animal a été surpris dans la propriété de la victime, la loi est tolérante quand ce dernier ne s’est pas approprié de la viande de l’animal abattu. Néanmoins, moi j’entends par dégâts la dévastation totale d’un terrain par un animal, non pas deux pousses d’arachides ou de maniocs arrachées ou broutées par un animal. Toutefois, libre à chaque juge d’avoir sa propre appréciation des faits. Toute personne laissant son animal en divagation, en cas de dégât causé par l’animal, reçoit deux types de sanctions : une sanction publique, en raison du fait qu’il a laissé son animal divaguer, et une sanction pénale, en raison du préjudice causée par l’animal.

No Man’s Land : Après nous avoir parlé de l’insécurité dans les champs, si vous nous parliez aussi des problèmes liés au foncier ?

S.M. : Pour développer un territoire, il faut d’abord l’aménager. Et il ne saurait y avoir d’aménagement de territoire sans une réglementation foncière. Au jour d’aujourd’hui aux Comores, l’Etat est propriétaire de si peu de terrains. Il ne peut pas entreprendre des constructions d’intérêt public, notamment des infrastructures administratives, hospitalières, scolaires, sportives ou éducatives. Pendant l’Autonomie Interne, à l’époque coloniale, des particuliers se sont appropriés certains terrains délaissés par les colons ; et à l’Indépendance, des particuliers et des communautés villageoises se sont appropriés des terrains domaniaux, notamment ceux de la Société Bambao. Pourtant c’étaient des terrains qui revenaient de droit à l’Etat. C’était l’Etat qui devait exproprier les terrains aux sociétés coloniales. D’ailleurs, juridiquement, tous les terrains domaniaux appartiennent toujours aux colons, puisqu’aucun acte ne stipule que l’Etat les a expropriés, parce qu’il est le seul en droit de le faire. Il est temps que l’Etat mette fin à cette injustice. Mais aucun gouvernant n’oserait réclamer ces terrains, par peur de n’être élu en cas d’élections. Ici tout est politisé, personne ne voit l’intérêt public, seul l’intérêt individuel prime.
En vrai, les textes régissant le foncier aux Comores datent de l’époque coloniale, surtout de 1926-1928. Ils ne sont pas adaptés aux réalités actuelles du pays. Ils doivent être revus, pour l’intérêt de tous.
Le foncier est au cœur de nombreux conflits familiaux et villageois aux Comores. Il y représente un problème très grave. De nos jours, à défaut de titre foncier fiable, un champ peut être vendu à plusieurs reprises, par différentes personnes. Peu de propriétaires ont immatriculé leurs terrains, beaucoup se contentent du droit musulman et du droit coutumier, au lieu de se rendre au service des domaines où ils acquerront des documents fiables de propriété, à l’instar d’un titre foncier, d’un acte administratif ou d’une décision de justice. Malheureusement, des gens sont devenus propriétaires de terrain qui ne leur appartenaient pas légalement, puisque toute personne qui a occupée paisiblement un terrain pendant une trentaine d’année, le terrain lui revient de droit : c’est ce qu’on appelle l’acquisition trentenaire. Néanmoins rien n’est perdu d’avance. Il suffit que des dirigeants fassent preuve de patriotisme, d’humanisme et de sagesse pour que « l’injustice sociale » soit remédiée.

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