Des diplômés petits commerçants au marché de Volo volo

Article : Des diplômés petits commerçants au marché de Volo volo
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1 mars 2012

Des diplômés petits commerçants au marché de Volo volo

Moroni, jeudi 12 juin 2008 (No Man’s Land) – Ils sont nombreux, pas moins d’une centaine, mais discrets ; ces jeunes diplômés, venus des différentes îles de l’Union des Comores, qui s’improvisent petits commerçants au marché de Volo Volo. Ils se prénomment Zaïdou, Saïd Ali, Maira, Ali Saïd Aboudou, etc. De la patience, ils n’en ont plus. De la frustration, ils en ont à revendre. Seul ce secteur informel, ce petit commerce, reste le recours de ces laissés-pour-compte. A l’ombre des marchands d’illusions, les vendeurs du désespoir se livrent. Reportage !

Kuni

Au marché de Volo Volo plus de cent petits commerçants sont diplômés. Les uns ont fait leurs études à l’étranger, à Madagascar surtout, les autres, la plus grande partie, sont issus des deux universités du pays, Mvouni et Patsy. Saïd Ali, âgé de 37 ans, a une Maîtrise de Géographie, dispensée par l’Université malgache de Tuléar. Ce père de famille, originaire de M’ramani, au sud de l’île d’Anjouan, est rentré au pays en 2004.

Dans l’espoir d’être recruté par l’île autonome d’Anjouan, il a été bénévole pendant six mois au Lycée de Louara, dans la presqu’île des Nyumakélé. En fait, il a dû tout arrêter parce qu’il ne pouvait plus payer ses frais de transports. A son arrivée à Moroni, en mai 2005, il a d’abord enseigné dans des écoles privées. Comme il était payé au rabais et avait plusieurs mois d’arriérés de salaires, il a fallu qu’il renonce. Encore une fois. Ne pouvant plus attendre une suite de sa demande d’emploi au ministère de l’Education Nationale, il s’est alors décidé à devenir petit commerçant au marché de Volo Volo.

Depuis, grâce au soutien de gros commerçants de la ville, il est là, devant le siège de la société d’eau et d’électricité (Ma-Mwé), en train de vendre des chaussures. « J’ai commencé à faire ce travail depuis l’âge de 20 ans, à Mayotte. Mais à cette époque, pendant mes années de collège et lycée, c’était pour pouvoir m’acheter des cahiers, des stylos et des vêtements. Maintenant, collaborer avec des gros commerçants est devenu ma seule issue. Je vends ici pour subvenir aux besoins de ma petite famille » confie Saïd Ali.

Loutfi, vendeur de vêtements, a lui aussi fait cinq ans à Madagascar- dommage qu’il n’ait pas répondu à nos questions. Parmi les bouchers de Volo Volo, des diplômés, il y en a plein. Ali Saïd Aboudou dit Victor en fait partie. Du village de Bandramadji la Mbadjini, il est titulaire d’une licence en Hôtellerie. Ayant travaillé, après son retour de Madagascar, pendant onze ans à l’Hôtel Galawa Beach jusqu’à sa fermeture en 2001, il a déposé plusieurs dossiers sur le marché du travail. Vainement.

Aujourd’hui, au côté de son ami Youssouf Madi Soilih, titulaire d’un DUT de l’Université des Comores – initiateur du Syndicat des Détaillants de Viande de Volo Volo (SDVV)- il nous a promis : « Je vais faire le plus d’économie possible. Après je vais me lancer dans une grande affaire. » Zaïdou Ben Daoud, 32 ans, originaire de Tsémbehou, qui ne se lasse jamais de traîner sa brouette pleine de tomates, nous a lancé, d’un air moqueur, dès qu’ils nous a vu : « J’ai un BTS en communication. Depuis 2005 que j’ai déposé un dossier à l’ORTC ( Office de la Radio et Télévision des Comores) , je n’ai toujours pas eu de réponse. Pourtant ma mère son rêve a toujours été de me voir devenir fonctionnaire. »
Ce qui est sûr, ces jeunes, que personne n’en parle, qui sombrent dans l’indifférence de l’Etat, ont tous des rêves brisés. Des rêves qui, se transformant en cauchemars, finissent par les rendre tous des desperados, comme tous ces jeunes diplômés dans l’espoir d’une vie meilleure ont péri dans la mer de Mayotte : où les plus chanceux, creusent des fossés ou deviennent taximen au noir.

Assade Moussa a lui un DEA en Physique Nucléaire. Il est rentré au pays depuis 2005. Jamais il n’a pu se trouver un job. Reprenant la phrase de Saïd Ali Bourhane, titulaire d’une licence en Biologie végétale de l’Université de Tananarive, « Toutes ces années de travail pour rien. »


Pendant ce temps que fait l’Etat ?

« L’Etat est pris dans l’engrenage. Il est obligé de scolariser les élèves, de plus en plus jeunes, de plus en plus nombreux. Et quand ils sont scolarisés, il les abandonne » déplore l’écrivain Aboubacar Saïd Salim. Abandonnés, sont sûrement ces jeunes diplômés, d’un pays selon Aboubacar Saïd Salim« on a éduqué depuis plusieurs générations les gens à devenir fonctionnaires ». 57, 4% de la population des Comores a moins de 20 ans, le taux net de scolarisation des 6-11 ans est de 60, 6%, mais le taux de chômage est de 14, 3%. Il est à rappeler ici qu’on dit chômeur toute personne à la recherche d’un emploi, sinon qui a postulé pour un emploi, et aux Comores rare sont les jeunes qui postulent sur le marché du travail ces derniers temps.

Après un tour à la Fonction Publique, un des responsables nous a mis dans la confidence : « Depuis 2006, à l’arrivée du président Sambi, on ne recrute plus à cause d’une masse salariale devenue insupportable. Toutefois, il y a eu une vingtaine de nouveaux recrus – qui n’ont subi aucun concours comme le suggère la loi -depuis le début de son mandat. Et c’est lui-même qui l’a dit lors d’un discours officiel. En tout cas, chaque jour il y a des nominations de gens qui ne sont pas fonctionnaires. D’ailleurs, s’ils l’étaient, ils auront, en plus de leurs salaires, perçu que des indemnités ; au lieu de ces salaires aux chiffres astronomiques. » Les Comores subissent discrètement depuis quelques années un plan d’ajustement structurel. Apparue vers 1980 , l’expression « ajustement structurel » est du FMI ( Fonds Monétaire International) . D’après cet organisme , pour développer un Etat déficitaire , il faut le dégraisser , réduire ses dépenses , privatiser les secteurs productifs , en l’occurrence ( aux Comores) , la société des hydrocarbures , les sociétés des entreprises de manutention maritime , la société des eaux et électricité etc… Toutefois , ce sont les effets à court terme des plans d’ajustement structurel que connaissent les Comores depuis , à savoir la hausse du chômage, inflation , et aggravation de la misère .

Selon toujours l’écrivain Aboubacar Saïd Salim, qui est secrétaire général à l’Assemblée nationale, « comme la filière vanille est morte, l’Etat doit créer une structure d’accueil des étudiants qui viennent d’être formés, encourager la création d’entreprises et d’une Ecole Nationale d’Administration ».

Et en parlant de ces jeunes diplômés « désoeuvrés » de Volo Volo dont « aucun recensement n’a été fait », d’après lui, « l’Etat doit, comme ces jeunes travailleurs se regroupent déjà, se cotisent pour envoyer quelqu’un à l’étranger [Dubai, Des-Es-Salam, etc.], leur construire un central d’achat, pour pouvoir améliorer leurs circuits de distribution par des points de ventes ». En tout cas , la créativité endogène nécessaire pour le développement d’un pays est belle et bien là , on le voit avec ces jeunes qui ont la fureur de vaincre … En fait la créativité endogène , sans relent de paternalisme , veut dire compter sur sa propre force et ses propres capacités pour résoudre ses problèmes . Cela dit ces jeunes n’attendent qu’un coup de main de l’Etat pour aller de l’avant.

En effet, le développement social, peu rentable par rapport au développement économique, mobilise moins les bailleurs de fonds, mais cela ne veut pas dire que les Comores qui ont participé au sommet social de Copenhague en 1995 doivent tout ignorer de ce qui a été convenu par les pays membres de l’ONU : « Les gens d’abord ». Et sans donner du travail à ces 2000 nouveaux jeunes cadres qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi, comment notre pays saura-t-il atteindre les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) pour espérer réduire la pauvreté et relancer la croissance économique, à l’horizon 2015.

A mi-chemin de son mandat, le président Ahmed Abdallah Sambi est confronté à un défi majeur, qui fait partie des trois grands chantiers de son programme qu’il s’est engagé de réaliser. Les seuls beaux discours ne suffiront plus à calmer le désarroi légitime de toute une génération qui avait placé en lui tous ses espoirs.

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