30 janvier 2013

Interview-hommage à feu docteur Benali Bacar avec l’inspecteur Ahamada Mohamed

Benali BACAR, né sur l’île d’Anjouan, à Tsémbéhou, le 14 mai 1933. Il est issu d’une famille noble (famille Baco Bacar, du nom d’un commis sous les ordres des exploitants de la société coloniale de Bambao à Anjouan). Médecin et homme politique comorien,il est mort le 1 décembre 1995 dans sa ville natale. Formé à l’Ecole de Médecine de Befelatanana de Tananarive, il a été ministre de la santé sous le régime révolutionnaire d’Ali Soilihi, puis, ministre de la fonction publique et du travail sous Ahmed Abdallah Abdérémane. M. Ahamada Mohamed, natif de Foumbouni au sud de la Grande Comore (1er janvier 1952) , a connu docteur Benali. Il nous donne le privilège de le connaître à notre tour à travers cette interview.

Dr Benali Bacar. © M.B. Assoumani
Dr Benali Bacar. © M.B. Assoumani

No man’s land: A quelle occasion avez-vous rencontré pour la première fois Docteur Benali Bacar ?

Comme tout enfant issu d’une famille plus ou moins avertie, pendant la période coloniale, j’ai fait l’école des Blancs après l’école coranique. C’est au Lycée Said Mohamed Cheikh où, après le Brevet élémentaire, j’ai choisi de servir mon pays : c’est à la suite d’un concours organisée à l’époque par la Direction de la Sûreté Générale, que je suis devenu Inspecteur de Police, en 1971.
A partir de cette date, je vais tantôt travailler à Moroni, tantôt à Mutsamudu-Anjouan, où mon chemin va se croiser avec celui du Dr Benali Baco Bacar, à l’époque exerçant à l’hôpital de Missiri.

Ce n’était pas une rencontre fortuite, ce n’était pas non plus une rencontre voulue. J’avais mal à l’estomac, et c’est ainsi que j’étais amené à le consulter. J’ai vu le médecin et j’ai découvert un homme qui m’a immédiatement mis à l’aise en optant de s’adresser à moi en Grand comorien ou bien en « Ki Ngazidja ».

No man’s land:Parlez-nous du médecin qu’a été docteur Benali.

La génération des médecins autochtones que notre pays a eu la chance d’avoir, courant la période précédant et même après l’autonomie interne, a été formée à Madagascar, à l’Ecole de Médecine de Befelatanana. Après une formation intensive, nos médecins rentraient au pays pour y exercer en qualité de médecin résident et obtenaient par la suite une bourse pour aller se perfectionner et soutenir leur thèse de Doctorat en France (plus précisément à la faculté de Médecine de Marseille). Ils devaient passer le Bac en France, avant de franchir la faculté de Médecine.

Le Dr Benali faisait partie de cette génération, comme tant d’autres concitoyens, tel le Dr Halidi Boudra, un de nos meilleurs chirurgiens, le Dr Said Bacar Turqui, également un excellent chirurgien, le Dr Abasse, le Dr Mouhtare Ahmed, avant lui le Dr Youssouf Mdahoma et les autres.

Je saisis cette opportunité, pour rendre hommage à leurs ainés : le Dr Said Mohamed Cheikh, formé dans l’armée française, le Dr Youssouf Said, et le Dr Maturaf, que j’ai eu l’occasion de connaitre, lors de mon séjour professionnel à Mutsamudu-Anjouan.

No man’s land: Quels étaient ses traits de caractère ?

Mon Premier séjour à Mutsamudu-Anjouan datait du mois de mars 1971. Le Dr Benali va exercer à l’hôpital de Missiri. L’homme était très apprécié, le médecin aussi. Il était ouvert, courtois, humble, et, très attaché à son métier.

« Kabayla, Mmatsaha ou mchambara » sont des termes qui résonnaient très fort ces années-là. Malgré son statut « Mmatsaha », ou venant de la campagne, le Dr Benali a pu s’imposer dans la cité mutsamudienne. On n’avait pas intérêt à être « Mchambara » ou Mmatsaha » ces années-là à Mutsamudu. On était mal considéré.

A Mutsamudu, le Dr Benali B. Bacar n’était pas le seul médecin comorien; il y avait les Dr Boudra, Maturaf, Kassim, et aussi des Européens tel le Dr Mavic.

Benali Baco Bacar n’avait pas un cabinet privé. Il exerçait à l’hôpital public, et accueillait ses malades chaleureusement et ne quittait son poste qu’après s’être assuré que tout le monde a été reçu.

Attention, le Dr Benali Baco Bacar ne pouvait pas souffrir du clivage Kabaila et Mmatsaha car ne l’oublions pas, c’est un enfant bien né, issu de la grande famille Baco Bacar de la cuvette de Tsémbéhou.

M. Ahamada Mohamed. © M.B. Assoumani
M. Ahamada Mohamed. © M.B. Assoumani

No man’s land:Docteur Ben Ali a aussi occupé des postes politiques. Parlez-nous cette fois-ci de l’homme politique.

Le 3 Août 1975, Ali Soilihi a renversé le premier gouvernement issu de l’Indépendance déclarée unilatéralement le 6 Juillet de la même année.

Comme Ali Soilihi l’a martelé dans un de ses discours, le but de ce coup d’Etat n’était pas de remplacer un gouvernement par un autre gouvernement.

Le coup d’état du 3 août 1975 s’inscrit dans un processus logique d’une révolution qui a pris date le 6 juillet de la même année et qui ne doit donner aucunement à un mode de gouvernance basé sur un système féodal. La période qui va du 3 août 1975 au 2 janvier 1976, le camarade Ali Soilihi va occuper le poste de Délégué à la Défense et à la justice, et quant à moi, je continue à occuper mon poste à Mutsamudu où je fais fonction de Commissaire de police de la même juridiction.

Je rappelle que durant la même période le Dr Benali occupe toujours le poste de médecin, à l’hôpital El Maarouf de Moroni tout en suivant l’évolution de la révolution. L’ile d’Anjouan devient inaccessible car Ahmed Abdallah et les membres de son gouvernement s’y sont retirés quelques jours avant le coup d’Etat, pour un premier conseil de gouvernement délocalisé ; et M. Ahmed Abdallah a décidé par la suite de faire la résistance. Le camarade Ali Soilihi a vite compris qu’il fallait établir le pouvoir sur l’ensemble du territoire national et que de ce fait, la libération de cette ile s’impose. C’est à partir de ce moment-là que Bob Denard, le mercenaire, va entrer en scène.

No man’s land : Quel a été le contexte ?

Je n’ai pas eu l’occasion de mentionner un certain Yves Lebret, un ancien de la société coloniale SCB, dont le siège était basé à Bambao la M’tsanga, situé sur la route de Domoni vers le Nioumakélé. Cet homme, très proche d’Ali Soilihi, va jouer un rôle très important. Elevé au rang d’Ambassadeur itinérant plénipotentiaire, Yves Lebret va se rendre à Paris, où il prend contact avec Bob Denard qui va avoir la mission de recruter d’autres éléments aguerris en matière de combat, afin qu’avec des autochtones qu’il formera sur place, va faire le 29 septembre 1975, le débarquement d’Anjouan. Le débarquement d’Anjouan a eu lieu à la date susdite, et on va déplorer deux morts : un élément de l’armée nommé Mohamed Moissi qui va donner le nom du  » Commando Moissy » et un jeune garçon de Mutsamudu atteint mortellement par une balle perdue. Mutsamudu est sous contrôle, et Ahmed Abdallah se trouvant à Domoni décide de se rendre, après un entretien avec Ali Soilihi qui lui a promis la vie sauve.

No man’s land : Benali va-t-il jouer un rôle important ?

Le Dr Benali reste très actif, participe à toutes les réunions du Front National Uni, constitué par tous les partis de l’opposition à savoir : le parti Blanc, le Pasoco, le Mrenda, et le Pek Molinaco : faisant tous blocs autour du Camarade Ali Soilih. Le 3 Janvier 1976, Ali Soilihi succédant au Prince Said Mohamed Djaffar, devient Président de la République, et forme son premier Gouvernement et choisi Mr Abdillah Mohamed de Mutsamudu comme Premier Ministre : ce dernier occupait le poste de Préfet d’Anjouan jusqu’au 29 septembre 1975, date du débarquement. Le Dr Benali entre dans le Gouvernement et occupe le Ministère de la santé. Il y restera jusqu’à la dissolution de la fonction publique. Le Dr Benali est un homme honnête, dévoué et qui a témoigné loyauté au Camarade Ali Soilihi jusqu’à la fin du régime. Je ne m’engage pas aujourd’hui à vous parler des étapes de la révolution, puisque ce n’était pas l’objet de notre entretien. Le 13 Mai 1978 voit la fin de la révolution, et tous ses acteurs compris moi-même, sont emprisonnés excepté le camarade Ali Soilihi, qui fut lâchement et violemment poignardé et assassiné le 29 mai 1978.

En revanche, il faut savoir que le Dr Benali n’était pas homme à se laisser faire; il exerçait son métier certes, mais il restait fidèle à ses convictions politiques. Les années 60, correspondent à la période de l’Autonomie interne, et c’est une période où feu Ahmed Abdallah, régnait en maître sur l’ile d’Anjouan, sous le parti « Vert » puis sous le « Oudzima ». Malgré l’omniprésence de cet homme en politique sur l’île et même sur la Grande Comore, le Dr Benali n’a jamais cessé de marquer son opposition face au rouleau compresseur qu’était Ahmed Abdallah. Ce dernier, très fortuné, arrosait avec son argent toute la population de la région de Nioumakélé.

No man’s land :Quels souvenirs avez-vous gardé de vos voyages à Tsémbéhou ?

Honnêtement, je ne me rappelle pas des personnes que j’ai vues à Tsémbéhou, lors de ma tournée là-bas, accompagné de mon ami- paix à son âme- le Dr Benali. Tout ce que je sais et qui m’est resté en mémoire, c’est l’hospitalité, et la gentillesse de la Famille Baco Bacar. Je peux vous certifier que cette famille là ce n’est pas une quelconque famille à Tsémbéhou. Je profite d’ailleurs de cette occasion, pour remercier à titre posthume le Dr Benali pour m’avoir ouvert la porte de sa famille dont je ne regrette pas d’avoir fait connaissance.

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