Bakri Nadhurou, jeune primatologue comorien
Disons-le d’entrée, Bakri NADHUROU a un parcours atypique. Dans une société en proie à une dérive consumériste, diluée dans une bureaucratie et une technocratie à outrance, où il n’y a plus d’autres valeurs que l’économique, le matériel, ce dernier a fait le choix original de suivre un cursus qui le met en contact permanent avec la nature. Primatologue de formation, ce biologiste est spécialiste des espèces de l’ordre des primates et de leur habitat, notamment les lémuriens des Comores et de Madagascar. Il soutiendra prochainement un mémoire de thèse dirigé par l’éminente professeure italienne Cristina Giacoma, du Département de la Science de la vie et des Systèmes, à l’Université de Turin.

On ne rentre pas bredouille d’une rencontre avec Bakri NADHUROU, tellement son propos est nourrissant. Cet érudit des lémuriens des Comores et de Madagascar explique toujours, avec le plus grand soin, comment se sont opérés les échanges faunistiques et floristiques entre la Grande île et l’archipel des Comores. « Il n’y a qu’une seule espèce de lémurien aux Comores. Et c’est le Lémur mongoz (Eulemur mongoz). Cette espèce qu’on retrouve dans les forêts d’Anjouan et de Mohéli est endémique de Madagascar et serait introduite par l’homme aux Comores. Les quelques individus rencontrés à la Grande Comore sont par contre introduits à partir d’Anjouan et Mohéli. » dixit M. Nadhurou. Bien que les îles des Comores aient une même zone climatique tropicale maritime, une même origine volcanique, chaque île constitue une entité singulière au niveau de la flore et de la faune. « Le nombre de lémuriens se réduit progressivement surtout du côté d’Anjouan ,en raison des pressions anthropiques tant sur les animaux que sur leur milieu naturel. On détruit la forêt pour la plantation de culture vivrière et aussi pour la construction de maison. A Ngazidja, les forêts ne sont pas totalement détruites. Certes les pressions anthropiques y sont fréquentes mais ce n’est pas comme à Anjouan. Anjouan est l’île la plus menacée, et la déforestation ne cesse d’accroitre de jour en jour. Si les autorités comoriennes ne prennent pas rapidement des mesures adéquates pour la protection des zones sensibles anjouanaises, la couverture forestière restante disparaitra complètement de la carte les années à venir. A l’inverse, l’île de Mohéli était épargnée par les activités humaines mais depuis peu elle commence à y être touchée. Et selon les Mohéliens ce sont les personnes venant des îles voisines qui sont à l’origine de ces dégâts. Il est temps de tirer la sonnette d’alarme car Mohéli est l’île la moins touchée : il s’agit en plus d’une zone propice pour la conservation des espèces végétales et animales, entre autres, les lémuriens, les tortues marines géantes et les roussettes de Livingston. » alerte M. Nadhurou.
L’écosystème comorien comme source de revenus

De nos jours, beaucoup de pays de la zone Océan Indien, soucieux d’un développement endogène de leur pays, s’inscrivent dans des initiatives de tourisme responsable et équitable. Un tourisme qui prend en compte le respect de l’environnement naturel et culturel, et, privilégie les rencontres et les échanges entre les touristes et les autochtones. Randonnée, bivouac, plongée sous-marine, sont autant des activités génératrices de revenus qui peuvent être développées pour le développement du pays. Mais pour ce faire, il faut « sensibiliser et responsabiliser la population quant à la protection de la flore et de la faune. Les Comores ont une spécificité faunistique et floristique exceptionnelle à l’instar des tortues, des oiseaux, des baleines, des dauphins et autres espèces animales et végétales. Toute cette richesse peut attirer du monde si elle est bien valorisée. On peut ajouter le Karthala et le Lac Dzialandzé, des sites qui peuvent être prisés par les aventuriers de la nature une fois valorisés. Par ailleurs, un des grands problèmes qui prévalent en ce moment aux Comores c’est que les chemins menant à des zones de cette nature sont inaccessibles pour les touristes -parce que enclavées. La mer constitue une autre alternative pour des activités génératrices de revenus; le modèle qui me parait idéale serait « l’écotourisme marin et littoral » qui consisterait à organiser des circuits en mer pour les touristes à partir de la capitale des Comores vers Mutsamudu (Anjouan) et Fomboni (Mohéli) afin que les visiteurs puissent apprécier la beauté de la mer avec ses merveilles à l’exemple des dauphins et des baleines au large de notre Parc maritime. Qui sait si on ne tombera pas sur un cœlacanthe ? »
Bakri Nadhurou est né le 12 mars 1981 à Tsembehu. Après un Master 2 de science naturelle –Option primatologie et évolution- de l’Université malgache de Majunga, il s’inscrit, sur les conseils d’un de ses professeurs, en thèse au Département de la Science de la vie et des Systèmes, à l’Université de Turin, en Italie. En 2010, avec le concours du projet européen BIRD (Biodiversity Integration and Rural Development), il a travaillé au sein de l’Université des Comores en qualité de guide de recherche. Depuis il arpente monts et vaux des Comores et de Madagascar pour étudier les lémuriens- ceux-là mêmes qui sont appelés communément makis par les profanes. Des études qui sont portées par des revues scientifiques de langues italienne, anglaise et française. Il a été à maintes reprises conférencier dans l’Océan indien et en Europe. Il défendra son mémoire de thèse fin 2013. On ne peut qu’encourager Bakri Nadhurou à l’heure où la revue scientifique britannique Nature Geoscience révèle la découverte d’un micro-continent préhistorique sous les îles de la Réunion et Maurice, confirmant la thèse des auteurs Jules Hermann de l’île de la Réunion, Robert Edward Hart et Malcom de Chazal de l’île Maurice, qui stipule que l’Océan indien est le vestige d’un continent englouti habité par des lémuriens. Lequel continent qu’ils ont baptisé la Lémurie. Enfin, qu’on se le dise : « M. Nadhurou a embrassé un métier d’avenir ! »
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