Adjimaël HALIDI

Communauté mahoraise de Marseille : le revers de l’Etat providence

Marseille. Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans une cité des Quartiers nord, des policiers encerclent des bâtiments, des jeunes profèrent des injures : l’atmosphère est tendue. Entre-temps, dans une cage d’escalier, un vieil homme houspille une bande d’adolescents : « C’est encore à cause de vos histoires de drogue, qu’ils sont là ». Cette cité réputée sensible est habitée par une importante population d’origine mahoraise. La population mahoraise en Hexagone est estimée à plus de 13 670 personnes, dont 44% ont moins de 20 ans. En 1999 l’INSEE avait recensé 2519 Mahorais à Marseille. Visite des lieux.

Mahoraises dansant une danse traditionnelle /crédit photo : Mouinate Mahamoud
Mahoraises dansant une danse traditionnelle /crédit photo : Mouinate Mahamoud

Haïra ,42 ans, est mère de 5 enfants. Originaire de Bandraboua, elle est arrivée en France hexagonale le 30 septembre 1997. Elle nous a accueillis dans son salon, une salle modeste où un voile à l’effigie de Mayotte est collé au mur. Des enfants d’à peine 10 ans jouent à la Playstation 3, un jeu de « baston ». A chaque fois que du sang couvre l’écran, ils rient à gorge déployée …

Timidement, Haïra nous soulève un pan de cette famille monoparentale : « La France d’avant n’est plus celle d’aujourd’hui. De nos jours, rien ne va. Avant, on bénéficiait, sans la moindre difficulté, de nombreuses aides sociales, pour payer le loyer, les factures, etc. Au moindre pépin, on avait l’aide d’une assistante sociale. Au jour d’aujourd’hui, on ne bénéficie presque de rien au niveau des aides. Moi personnellement, j’ai droit à 150 euros mensuels de la Caisse d’Allocations Familiales. Et mes enfants bénéficient de 800 euros d’allocations. Il y a aussi 800 euros qui sont versés directement au propriétaire pour le loyer. Croyez-vous qu’on peut vivre décemment avec 1000 euros dans ce pays où tout s’achète, où tout est cher ? Honnêtement on survit. D’ailleurs si le peu que je gagne ici je pouvais le gagner à Mayotte, je serais partie depuis longtemps ! » Néanmoins, Haïra nous a discrètement partagé un secret. Les 150 euros dont elle est bénéficiaire chaque mois, elle les épargne dans une tontine. Tradition oblige : elle est en train de construire petit à petit une maison pour sa fille à Mayotte. Sachant que la maison de la fille, comme l’hymen, est indispensable pour le mariage coutumier.

« Nos enfants ne veulent plus aller à l’école. Et puisqu’on a du mal à les entretenir financièrement, on a perdu toute autorité sur eux. Ils nous méprisent, ne veulent plus nous écouter, et sont tous tombés dans la délinquance. Nos filles sortent avec des petits voyous d’origine maghrébine, qui les font croire ostentatoirement qu’ils sont riches avec leur argent sale de la drogue. Pendant ce temps, beaucoup de nos garçons sont en prison pour trafic de drogue ou vol à la tire » rajoute Haïra.

Toujours dans le même immeuble. Sarah nous a accueillis chez elle. Née à Tsingoni en 1977, elle est mère de 4 enfants. Elle est arrivée en France en 2002. « Je n’ai pas de mari !» nous a-t-elle répondu vertement, quand on lui a demandé où était son mari. Au même moment, une voisine qui est venue quémander un aspirateur nous a fait un clin d’œil, histoire de nous signifier que le propos de notre interlocutrice n’était pas vrai. En effet, Sarah était persuadée que nous étions des agents de la Caisse d’Allocations Familiales, qui souvent débarquent à l’improviste chez les allocataires pour vérifier l’authenticité des demandes faites auprès de leur institution. Nous avons dû démontrer longuement nos bonnes intentions à Sarah pour qu’elle accepte de nous révéler qu’elle fait partie de ces Mahoraises qui ont recours à des moyens contournés pour avoir beaucoup plus d’aides sociales . « J’ai bel et bien un mari, avec qui j’ai contracté un mariage coutumier. On n’a pas déclaré notre mariage auprès des institutions étatiques. Puisque mon mari a un travail, gagne plus que le SMIC, sinon je n’allais pas avoir droit aux prestations sociales. Pour l’instant, je bénéficie du Revenu Solidarité Active (RSA), j’ai droit à la Couverture Maladie Universelle (CMU) et j’utilise le transport en commun gratuitement. On n’a pas aussi déclaré nos enfants, de toute façon ils sont français, je ne vois pas d’inconvénients. Et mon mari a loué une boite à lettres quelque part je ne sais où pour la réception de ses courriers. »

Délinquance et chômage vont croissant.

Haïdari, 42 ans, père de 3 enfants dont l’aîné a 21 ans, est responsable associatif. Il a émigré en 1998. Il nous raconte : « La délinquance gagne du terrain dans la communauté mahoraise, du moins celle de Marseille. La tranche d’âge comprise entre 12 et 25 ans est la plus concernée. Beaucoup de jeunes sont devenus dealers, et se font arrêter tout le temps. Parfois je me dis qu’on a affaire à une contagion. Il y a des mômes qui paraissent timides, bons élèves et du jour au lendemain ils finissent délinquants. En fait, ils se font influencer par les pairs. On a affaire à un phénomène de bande. Et comme le chômage est important dans notre communauté, les parents, eux aussi perdus dans un monde qui les échappent, ont dû mal à maîtriser leurs enfants. Le RSA ne suffit plus, et pour avoir l’ASSEDIC, l’assurance chômage, il faut d’abord avoir travaillé. Et il n’est pas facile de trouver un emploi de nos jours. Du coup tout est compliqué. Par contre, on avait monté une association pour remédier à tout ça. Mais il y a eu tellement de magouilles au sein de l’association qu’on a dû tout arrêter. De toute façon c’est le Conseil Général de Mayotte et la Maison de Mayotte en France hexagonale qui devraient s’impliquer, puisque cette jeunesse constitue socialement une bombe à retardement. Aujourd’hui ils sont ici, mais un jour ils vont rentrer à Mayotte et là il faut s’attendre à tout ».

D’après l’INSEE, dans la communauté mahoraise de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le taux de chômage des Mahorais est très élevé : 64 % contre 17 % pour l’ensemble des habitants de la région. Le chômage atteint 77 % chez les femmes mahoraises. Plus de la moitié des Mahorais sont inscrits à l’ANPE mais peinent à trouver un travail , puisqu’ils n’ont pas de diplôme et très peu sont allés au lycée.

Néanmoins, certains parents soucieux de l’avenir de leurs enfants, surtout lassés de survivre en France hexagonale, décident de retourner à Mayotte. Mais au bout de quelques mois, ils se sentent obligés de retourner en France. Fatima, mère de 5 enfants, fait partie de cette minorité. « On avait décidé de rentrer définitivement à Mayotte. Mais en l’espace de six mois, on a été dégoûté d’y rester. Mon mari ne trouvait pas de travail, sachant que le marché du travail là-bas est limité. On avait ouvert une petite épicerie, mais personne n’achetait. Au demeurant, je crois qu’on avait été marabouté par nos voisins. De toute façon, ils ne nous parlaient plus dernièrement. S’il y avait les minima sociaux comme ici, on serait resté. Mais il n’y a rien là-bas. »

Pour Rifka, une mère de trois enfants âgée de 26 ans, « c’est vrai les Mahorais viennent en France pour les prestations sociales. Mais une fois ici, ils se construisent leur petit monde, s’adaptent à la vie en Hexagone. J’en connais beaucoup qui pour rien au monde ne partiraient s’installer à Mayotte. Désormais pour eux leur vie est ici. Quand quelqu’un a grandi ici, a toute sa famille et ses amis ici, je me demande ce qu’il va chercher à Mayotte, à moins qu’il n’y aille que pour des vacances. Je crois que le mal est déjà fait. Ces aides sociales dont tout le monde rêve, auraient dû être accessibles à Mayotte depuis le début des années 1990, date à laquelle les Mahorais ont commencé à émigrer en masse à la Réunion. Maintenant, si cette arlésienne de minima sociaux, arlésienne puisque ça fait longtemps qu’on les attend en vain, arrive, il faut s’attendre juste à beaucoup de chômeurs et des analphabètes comme à la Réunion où beaucoup de jeunes ont quitté les bancs de l’école et refusent de travailler pour cause de prestations sociales. Rien de plus. La mythologie selon laquelle les Mahorais qui sont en France vont y retourner est à déconstruire. »

Enfin, la non intégration des Mahorais à la société de la terre d’installation crève les yeux. Déjà les parents et leurs enfants ne parlent pas la même langue et ne partagent pas les mêmes valeurs. Les enfants ne maîtrisent pas du tout le mahorais et leurs parents pratiquent mal le français. Du coup, le courant ne passe pas. Autre fait marquant, les repas ne se prennent pas en famille. Et à l’heure des repas, la télévision, les jeux vidéo et la chaîne stéréo remplacent les conversations. Pour ce qui est des valeurs, les parents ont démissionné de leur rôle d’éducateurs, tellement ils sont tourmentés par leurs soucis de chômeurs ou d’ouvriers payés au rabais. Du coup les enfants n’ont pas de repères : ni Mahorais par la religion musulmane ni par la langue et ni par la culture des parents ni Français par les valeurs républicaines transmises par l’école, une école dont, certains, à 16 ans se font exclure car non obligatoire/facultative. Par conséquent, certains enfants perdent à 16-18 ans les aides sociales. A Marseille, le nombre de ménages mahorais est de 1 293. Le nombre de personnes par ménage est en moyenne de 4,1 personnes. Plus de 28 % de ces ménages sont composés de 6 personnes ou plus contre seulement 14 % comprenant plus de quatre enfants de moins de 18 ans. Enfin, les parents qu’on a eu à rencontrer avaient au minimum 3 enfants, comme si plus d’enfants signifiait plus de prestations sociales. Conscients que c’est grâce à eux que l’Etat verse à leurs parents des prestations sociales, les enfants considèrent peu l’autorité parentale. Et du moment où ils perdent les droits sociaux, ces enfants préfèrent la rue au foyer familial.


Interview avec Saïd Ahamadi « La rupéisation de Mayotte est une chance de développement pour les îles de l’Union des Comores « 

Saïd AHAMADI est, depuis le 3 avril 2011, le 3ème Vice-Président du Conseil Général de Mayotte : il est en charge de la coopération régionale et des affaires européennes. Rencontré par No man’s land, il évoque son combat mené autour de la rupéisation de Mayotte et ses nombreux projets axés sur la promotion d’une coopération régionale concrète et fructueuse entre Mayotte et l’ensemble des pays du Canal du Mozambique.

Saïd AHAMADI, 3ème Vice-Président du Conseil Général en charge de la coopération régionale et des affaires européennes depuis le 3 avril 2011.

1) No man’s land : En ce mois de juillet, Mayotte vient d’accéder au statut de Région ultrapériphérique de l’Union européenne (RUP). En votre qualité de vice-président chargé de la Coopération régionale et des Affaires Européennes, pouvez-vous nous dire ce que représente un tel statut pour Mayotte ?

Réponse : Après la consultation populaire du 2 juillet 2000, le législateur français fait évoluer par la loi du 11 juillet 2001 l’ancien statut de Collectivité territoriale de la République (TOM) en Collectivité Départementale qui prévoit la départementalisation à l’horizon 2010. La réforme constitutionnelle de 2003 permet l’inscription de notre archipel de Mayotte dans la Constitution de la 5ème République. Mayotte vient alors de tourner le dos définitivement au statut de territoire d’outre-mer (TOM) et par conséquent à la famille des pays et territoires d’outre-mer de l’Europe (PTOM). Par délibération du Conseil Général N°10/2003/CG du 31 janvier 2003 en effet, les conseillers généraux sous la Présidence du feu Younoussa BAMANA adoptent le principe de l’éligibilité de Mayotte au statut de région ultrapériphérique (RUP) à l’instar des 4 départements français d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion).
La validation du statut de RUP de Mayotte par la Commission Européenne, cet été, représente aujourd’hui l’aboutissement d’un combat politique initié par nos aînés, que nous avons su relayer avec efficacité. Mais, cette rupéisation va provoquer des conséquences économiques, sociales et culturelles majeures à Mayotte dès son entrée en vigueur en 2014.

2) No man’s land : Virtuellement, ce nouveau statut (RUP) ne devait être effectif qu’en 2014, pourquoi une anticipation du processus ?

Réponse : Le statut de « département d’outre-mer » approuvé le 29 mars 2009 à 95% des suffrages par les Mahorais, est intervenu le 31mars 2011 avec le renouvellement du Conseil Général. Cette anticipation du processus s’explique par les négociations liées à la réforme de l’Union européenne par l’adoption de la stratégie « Europe 2014-2020 » qui concerne également les régions ultrapériphériques (RUP).

3) No man’s land : Vous êtes en quelque sorte à l’origine de cette anticipation, dîtes-nous comment se sont déroulées les négociations ?

Réponse : Vous pouvez en effet le dire à propos des élus de Mayotte. Aux élections européennes de juin 2009, alors porte-parole des Forces progressistes (Alliance, MPM, Parti communiste rénové de Mayotte et Parti Social Mahorais), j’ai obtenu du député européen de la circonscription océan Indien Elie HOARAU, la nomination d’un cadre Mahorais en la personne d’ADACOLO Kira comme attaché parlementaire en charge du dossier « Europe » de Mayotte à Bruxelles.
Installé à Bruxelles dès janvier 2010 aux côtés d’Elie HOARAU, ADACOLO Kira a permis que Mayotte obtienne l’Instrument de préadhésion ; c’est à dire une enveloppe de près de deux millions d’euros pour assurer la formation des acteurs du public ou du privé qui auront à connaître l’utilisation des Fonds structurels européens.
Elu 3ème Vice Président du Conseil Général le 3 avril 2011, et chargé par le Président du Conseil Général de Mayotte Daniel ZAIDANI de la coopération régionale et des affaires européennes, je n’ai jamais ménagé mes efforts à propos de la mission qui m’a été confiée.
Les négociations se sont déroulées dans de bonnes conditions étant entendu que nous avons été capables de fédérer toutes les capitales européennes à notre projet porté par notre Gouvernement, et au final, par le Président de la République Nicolas SARKOZY lui-même.

4) No man’s land : Quels étaient les soutiens ?

Réponse : Depuis l’adoption du principe par la délibération du Conseil Général en 2003, les élus de Mayotte se sont contentés de voter des « vœux » transmis au Gouvernement par l’intermédiaire du Préfet de Mayotte. Mais, jamais un élu local avant moi ne s’est réellement attelé au travail de lobbying. A l’échelle de l’Europe et au sein des autres RUP, j’ai porté avec force et enthousiasme le dossier de Mayotte. On dit chez nous, « maji ya chijavou woujiva chijavouni[On défend mieux ses intérêts soi-même.]». Les soutiens ont été multiples.

Mon premier déplacement a eu lieu au Département et Région de La Réunion pour participer à la conférence de coopération régionale des 19 et 20 mai 2011. J’ai pu obtenir le soutien des collègues de La Réunion, notamment le Président de la Région ainsi que le Vice-Président délégué aux affaires européennes. Lors de cette conférence, j’ai rencontré madame Anne CROZAT, Chef de secteur-Secrétariat Général pour les affaires européennes au Ministère à Paris. Je l’ai sensibilisée sur la nécessité d’intégrer Mayotte dans les simulations financières dans le cadre des négociations européennes, notamment dans les perspectives financières concernant l’outre-mer.

En juin 2011, je me suis rendu en Sicile où j’ai sensibilisé, en marge des jeux des jeunes des îles européennes, les élus accompagnant leurs délégations sur le dossier RUP de Mayotte.

Du 26 au 30 septembre 2011, j’ai participé à l’assemblée générale de la Conférence des Régions Périphériques maritime d’Europe (CRPM) sous la présidence de Jean-Yves LE DRIAN qui a accepté d’être l’un des relais de la rupéisation de Mayotte dans les différents rencontres organisées avec les commissaires européens et le gouvernement français. A cette conférence, nous avons présenté notre département ; et nous avons insisté sur les atouts de notre archipel notamment dans la géopolitique et dans la richesse de sa biodiversité maritime. Notre présence a été saluée par tous les participants y compris les commissaires européens présents qui ont noté notre réel engagement d’intégrer la famille des RUP.

Du 11 au 16 octobre 2011, pendant la grève contre la vie chère, j’ai conduit une délégation de 27 personnes (cadres, élus et militants progressistes) à Bruxelles pour vivre l’Europe au Parlement. Durant ce déplacement, nous nous sommes entretenus le député européen Elie HOARAU et moi avec le Commissaire Michel BARNIER en charge du Marché intérieur et de la lutte contre les monopoles commerciaux, le mercredi 12.
A près avoir visité le parlement européen le 13 avec toute la délégation mahoraise, j’ai rencontré le 14, assisté de l’attaché du député européen et des camarades Darouèche BOINA, Hamada-Hamidou SIDI, Chamsidine BOURA à la Représentation française permanente à Bruxelles Jean- Noël LADOIS, chargé des RUP. Nous avons fait le point sur l’avancement de notre dossier RUP. Il m’a certifié que le dossier était bien ficelé et ne souffrait d’aucune contestation au niveau de la Commission européenne. Et que le Président de la République devait le déposer lui-même officiellement avant la fin du mois. Et que le Commissaire Johannes HAHN était favorable à notre proposition d’être acceptée comme « Membre observateur » au sein des RUP dès 2012.

Du 1er au 5 novembre 2011, je me suis rendu aux Antilles, en Martinique où a lieu la 17ème Conférence des Présidents des RUP sous la présidence de Serge LETCHIMY. Le vendredi 4 novembre, dans son intervention de clôture des travaux, le Commissaire Johannes HAHN a confirmé l’intégration de Mayotte dans la famille des RUP comme « Membre observateur » dès la 18ème Conférence des Présidents qui aura lieu en septembre 2012 aux Açores. A ce titre, j’ai été convié à la photo de famille des Présidents avec le Commissaire européen.
Ce travail de lobbying n’a pas été de tout repos. J’ai eu un agenda très chargé sur la scène nationale et européenne jusqu’au 6 juillet 2012.

5) No man’s land : Les conditions pour accéder au statut de RUP ?

Réponse : Seules les régions d’outre-mer des Etats membres de l’Union européenne peuvent accéder au statut de RUP. Les autres conditions tiennent à la bonne gouvernance (le respect de la démocratie, une transparence dans la gestion des fonds publics, etc.), à la capacité de respecter les directives européennes, autrement dit l’acquis communautaire…

6) No man’s land : Que bénéficiera Mayotte à travers ce statut ?

Réponse : Le département de Mayotte qui bénéficie seulement du FED à cause de son statut de PTOM jusqu’au 31 décembre 2013 recevra l’ensemble des Fonds structurels européens afin de rattraper ses retards en matière de développement économique et social. Le Fonds Européen Développement Régional (FEDER) et le Fonds Social Européen (FSE) restent les dispositifs financiers phares de l’Europe à propos des RUP. Mais il en existe au moins six, notamment le FEADER, le FEP. C’est une manne importante qui peut permettre la réalisation d’équipements d’envergure régionale ou internationale sur le territoire mahorais. A ces aspects économiques et financiers, les Mahorais renforcent en l’élargissant leur espace de liberté, de sécurité et de justice. Enfin, bien qu’éloigné du continent européen, Mayotte fait désormais partie de ce grand ensemble constitué de réseaux transeuropéens.

Saïd AHAMADI au milieu de ministres, Présidents de RUP, chefs de gouvernement des PTOM au 10ème Forum de l’OCTA-UE, le 25 janvier 2012, Bruxelles, au hall de « The Hotel »,
Saïd AHAMADI au milieu de ministres, Présidents de RUP, chefs de gouvernement des PTOM au 10ème Forum de l’OCTA-UE, le 25 janvier 2012, Bruxelles, au hall de « The Hotel »

 

7) No man’s land : L’Union des Comores, par la voix de son Ministère des affaires étrangères, a dénoncé la rupéisation de Mayotte par le Conseil Européen. Quel message adressez-vous à vos homologues de l’Union des Comores concernant la rupéisation de Mayotte ?

Réponse : La rupéisation de Mayotte est une chance de développement pour les îles de l’Union des Comores. Nos frères élus ou ministres comoriens ne doivent pas continuer à adopter une position rétrograde au vu de l’évolution du monde. Cette attitude qui consiste à critiquer toute évolution de l’archipel mahorais voisin pénalise en premier lieu les ressortissants comoriens sur place ou installés à Mayotte.
C’est surtout une position défendue par une élite politique et un corps intermédiaire (composé de journalistes, intellectuels, responsables d’associations) qui, même minoritaires, tentent de masquer leurs propres insuffisances dans la gestion des affaires publiques aux Comores.
Je leur demande enfin de regarder la vérité en face en abandonnant leur projet désuet de vouloir intégrer Mayotte dans l’ « Etat » comorien. Les autorités comoriennes ont tout à y gagner en nouant des relations saines de coopération régionale avec nous au lieu de pousser à la mer leurs ressortissants à bord d’embarcations de fortune, les « japawa » et périr le plus souvent dans les eaux du lagon de Mayotte.
Je voudrais qu’ils pensent au Jugement dernier puisqu’ils se disent musulmans.


8) No man’s land : Une mission sénatoriale française, composés d’élus de différents bords politiques, en visite ce mois-ci à Mayotte, préconise la suppression du visa Balladur et une coopération sérieuse entre la France et l’Union des Comores. Quelle est votre réaction vis-à-vis d’un tel projet ?

Réponse : La suppression de ce visa n’est pas la panacée, même si cela aura un effet positif psychologiquement aux Comores et dans les îles du Canal de Mozambique en général.

Les Mahorais et les habitants des trois îles autonomes (Anjouanais, Mohéliens et Grand- Comoriens) de l’Union des Comores doivent s’asseoir autour d’une table et régler les problèmes existentialistes qui se posent à nous. Le problème, ce n’est pas tant le « visa Balladur » même s’il cristallise les tensions. C’est plutôt le mal vivre aux Comores, le désespoir qui engendre l’immigration irrégulière disproportionnée à Mayotte, ravivant ainsi les haines primaires et les rancoeurs. La mauvaise gestion administrative et financière aux Comores est parmi les réelles de la faillite de l’Etat comorien. Il est urgent de réhabiliter la notion d’Etat dans la conscience des Comoriens, et surtout le respect des institutions fondées sur des bases démocratiques partagées par l’ensemble de la population.

9) No man’s land: Vous serez à Moroni au mois d’octobre prochain. Quel est le but de cette visite ? Autrement dit, que doit-on s’attendre de ce séjour ?

Réponse : Maire de Koungou de 2001 à 2007, j’allais régulièrement dans les îles de l’Union des Comores. Ainsi, j’ai appris beaucoup de l’histoire et de la société comorienne. J’ai pu relever les points de convergence et les points de discorde avec notre société mahoraise. J’ai noué des contacts précieux dans la recherche d’une solution au dilemme de nos îles du Canal de Mozambique.

Depuis 2007, le revirement politique inattendu du Président comorien Sambi m’a décontenancé, et je ne suis plus jamais retourné à Moroni. L’orientation islamique du régime était devenue un facteur de blocage. Les Comoriens, musulmans mais laïcs, ne parlent pas l’arabe pour la grande majorité d’entre eux.

Aujourd’hui, de par mes responsabilités au sein du Conseil Général de Mayotte, je me dois de ma rendre à Moroni après avoir rempli avec succès la mission européenne et après la conclusion de deux conventions stratégiques de coopération régionale avec deux régions malgaches, Diana au Nord et Boeny au Sud-ouest en octobre 2011.

Je me dois d’accompagner et de favoriser l’intensification des économiques et commerciaux avec les Comores, notre principal partenaire dans la région. Les sources de notre douane attestent que dans les échanges en valeur dans la zone océan Indien, les Comores restent le premier partenaire économique de Mayotte, de loin devant tous les autres. Les Mahorais exportent aux Comores à hauteur de 707 millions d’euros par an (chiffres douane France 2004). Dans le contexte de crise mondiale actuelle, nous devons travailler de manière intelligente avec nos principaux partenaires dans un esprit de co-développement ; autrement dite, la coopération « gagnant -gagnant ». Je m’inscris dans les orientations de notre Gouvernement, notamment celles du ministre des affaires étrangères et européennes Laurent FABIUS qui place le développement économique comme sa première priorité dans le cadre de la diplomatie française.

10) No man’s land : Le président du Conseil Général de Mayotte, notamment Daniel Zaïdani, envisage d’intégrer Mayotte dans la Commission de l’Océan indien. Sachant que seul un Etat a le droit d’intégrer la COI, que même Zanzibar après maintes demandes a toujours essuyé un refus et que c’est seulement la France qui est membre de la COI, mais pas la Réunion, dites-nous, vous qui êtes dans le secret des dieux, comment Mayotte va-t-elle procéder pour être membre de la COI ?

Réponse : Que Mayotte siège dans la COI, c’est un projet que je partage. Malgré la difficulté de la réalisation d’un tel projet comme vous le suggérez, nous travaillerons avec les différents acteurs (en particulier notre Etat et la région Réunion) pour relever le défi de la cohérence dans la coopération régionale avec notre reconnaissance comme Département et Région ultrapériphérique de l’Europe.


11) No man’s land : Une délégation de jeunes mahorais a participé au 8 ème jeu des îles de l’Océan Indien qui se sont déroulés ce mois-ci à Moroni. Quelles sont les leçons que nous devrions tirer de cet évènement ?

Réponse : Tout ce qui participe au développement des rencontres entre les jeunes de l’océan Indien doit être encouragé. Ces échanges permettent aux uns et aux autres de corriger leurs préjugés négatifs, et d’appréhender l’avenir avec sérénité. La connaissance mutuelle des populations de la zone océan Indien permettra de mieux identifier des projets communs de développement. Mayotte doit se doter des équipements sportifs adéquats pour accueillir un jour ces jeux, en 2020 par exemple. Au-delà nos devises nationales respectives (Unité, Solidarité et Développement pour l’Union des Comores, et Liberté, Égalité et Fraternité pour la France), j’invite les différents responsables à plus de courage et d’audace dans nos relations communes afin de relever les nombreux défis qui se présentent à nous. Assez de faux-fuyants!


Etudiants mahorais en Hexagone, AUTOPSIE D’UN ÉCHEC

Les Mahorais qui étudient en Hexagone dans le supérieur sont estimés à 2 200. Les uns s’orientent vers des études courtes, les autres, peu nombreux, font des études longues. Néanmoins, il n’y a que 16 % des primo étudiants qui parviennent en 2èmeannée à l’Université : un taux de réussite très faible, comparé au taux national qui avoisine les 50%. Aussi, 18 % mettent-ils fin à leurs études dès la première année contre une moyenne de 6% en Hexagone. Cette situation alarmante a fait couler beaucoup d’encre et de salive, mais jamais une réponse appropriée n’a été apportée à ce problème qui hypothèque l’avenir du nouveau département. Des étudiants ont accepté de décortiquer ce problème avec nous, ils se prénomment Bensoumeitte Diva Toybou, étudiant à l’Institut National des Sciences Appliquées de Rennes, Ibrahim Assane , étudiant en Lettres Arabes à Aix-Marseille Université, Radhuya Saïd , étudiante en seconde année de BTS Science Technologie des Aliments à Limoges , Ali Amir , doctorant en Droit et chargé de Travaux dirigés à l’Université Paul-Cézanne d’Aix-en-Provence et, enfin, Fahoullia Mohamadi, doctorante en Chimie à l’Université de Perpignan . A l’ombre des statistiques et des discours politiciens, ces derniers se livrent.

Bensoumeitte Diva Toybou / Rennes

Limoges, vendredi 23 mars. Entre deux arrêts de bus, Radhuya Saïd, née à Labatoire il y a 22 ans et étudiante en seconde année de BTS Science Technologie des Aliments, nous confie : « Je suis arrivée en Hexagone en 2009 pour faire des études de sociologie. Une filière que j’ai dû abandonner au bout d’une année en raison de difficultés d’ordre pédagogique. Déjà mon Bac STG Communication n’était pas adapté à la filière que je faisais et surtout mon niveau de français n’était pas bon pour pouvoir me frayer un chemin à la faculté. Je ne suis pas la seule dans ce cas, comme à Mayotte on ne parle pas français entre nous dans les foyers, le niveau de langue laisse à désirer. Du coup, je n’ai pas pu valider mon premier semestre, Le second, je l’ai réussi mais difficilement. Suite à cet échec, j’ai décidé de faire un BTS Science Technologie des Aliments. Et depuis, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. »

Né à Kaweni il y a vingt ans, Bensoumeitte Diva Toybou est arrivé en Hexagone en aout 2010. Il est titulaire d’un Bac S option Mathématiques. Rencontré à Rennes où il est en 1ère année dans une école d’Ingénieur connue sous le nom d’INSA, il nous raconte : « J’ai fait une année de Prépa PCSI (Physique, Chimie et Sciences de l’Ingénieur), que j’ai validé tant bien que mal. Donc j’ai changé pour faire une 1ère année à l’INSA de Rennes. J’ai remarqué que le système de prépa classique qui est en vigueur dans la première école où j’étais n’est pas adapté aux étudiants mahorais désireux de faire un cursus d’Ingénieur. Par contre, le système de ma nouvelle école est beaucoup plus souple, il est à la portée des étudiants mahorais. En fait, à Mayotte le niveau de français en particulier et le niveau scolaire en général sont défaillants. Je faisais partie des meilleurs de ma classe et même du lycée Younoussa Bamana. Ici, je me sens perdu, parce que je me rends compte que je ne suis pas du tout à la hauteur des attentes des professeurs, et pour que je réussisse, je suis obligé de redoubler d’efforts. Pourtant un de mes anciens professeurs de mathématiques au lycée m’avait prévenu qu’à Mayotte les professeurs s’adaptent aux élèves en fonction de leur niveau scolaire et de leur tempérament. Ils favorisent le travail collectif afin que tout le monde avance ensemble presque au même rythme… Donc je ne devais pas dormir sur mes lauriers m’avait-il conseillé. Mais comme j’étais trop sûr de moi et de mes compétences, je m’étais dit qu’avec mon niveau scolaire de Mayotte je pouvais tout surmonter en Hexagone. Hélas, en arrivant ici, je me suis vite rendu compte que mon professeur avait raison. Les professeurs en Hexagone sont très stricts et rigides, ils ont un programme à finir dans un temps donné et privilégient surtout le travail individuel. A Mayotte, on se contente des cours donnés à l’école et on ne révise qu’à la veille des examens. Ici, au contraire, il faut un grand apport en matière de travail personnel pour combler les lacunes, du coup il faut beaucoup lire, faire des recherches sur Internet, en somme, travailler de manière intensive. » En effet, le psychologue et pédagogue Rosenthal soutient à travers ce qu’il a appelé « l’effet Pygmalion » qu’on peut influencer l’évolution d’un élève en émettant une hypothèse positive sur son devenir scolaire. Ainsi des étudiants à qui on avait fait croire à Mayotte qu’ils étaient géniaux et qui avaient fini par le croire tombent des nues quand ils se retrouvent avec des notes en dessous de la moyenne à l’université.

Adaptation des étudiants à la vie hexagonale

Beaucoup amputent l’échec des étudiants mahorais en Hexagone aux us et coutumes locaux. Certains condescendant et adoptant une position de relativisme culturel, considèrent l’étudiant mahorais comme un être fermé sur lui-même, qui, à cause de son ethnocentrisme , refuse d’aller vers autrui. Ainsi lit-on dans un rapport du Conseil Général de Mayotte en date de février 2008 : « Le jeune Mahorais a la fâcheuse réputation de s’enfermer sur lui-même et de ne côtoyer que les personnes da sa communauté. Ce manque d’ouverture de l’étudiant dans son lieu d’études l’empêche d’aller vers l’Autre, n’ayant pas les mêmes référents culturels que lui. Cet état d’esprit est renforcé par la logique villageoise, donc familiale, prédominante à Mayotte. » Cet argument est court compte tenu du fait qu’en Hexagone les jeunes mahorais entretiennent des liens très étroits [voire des relations amoureuses] avec des jeunes d’autres communautés, notamment européennes , sub-sahariennes et nord-africaines. Par ailleurs, une vérité est manifeste : un tiers des étudiants mahorais s’installe dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, notamment à Marseille où il y a une très forte population mahoraise. Une autre partie qui n’est pas moindre s’établit en Ile-de-France où la population mahoraise est aussi importante. Limoges est une ville où il y a autant d’étudiants mahorais que de familles mahoraises. « Les 460euros de bourse que me verse le CROUS ne sont pas suffisants pour me payer un studio. Ma tante et mon oncle m’ont donc proposé de vivre chez eux. » nous dit Radhuya Saïd. Enfin, il est à souligner que beaucoup d’étudiants étrangers en France, notamment asiatiques, américains et africains vivent en communauté, que ce soit dans la vie réelle ou que ce soit sur internet à travers les réseaux sociaux. Pourtant ils s’en sortent sans difficulté à l’université, parce que décidés à aller au bout de leur motivation.

« Certes dans ce pays, l’anonymat prime, la solitude prévaut, l’individualisme est roi, on est en permanence seul au monde. On peut crever dans une foule de gens, personne ne viendra à notre secours. Mais ce n’est pas la raison de l’échec des étudiants mahorais. La raison, selon moi, est le manque de persévérance des étudiants. A Mayotte, ce sont les parents qui font tout que ce soit les affaires administratives que ce soit les affaires familiales. Plus les familles se modernisent, plus les parents donnent de la valeur à leurs enfants : ils les traitent comme des petits princes. Du coup, arrivés en Hexagone, les étudiants mahorais se sentent abandonnés à eux-mêmes. N’ayant pas la culture administrative, ils ont du mal à régler leur problème administratifs ou le moindre pépin : un retard de versement de bourse et ils paniquent. Défaitistes, au moindre échec à l’Université, ils abandonnent les études ou ils optent pour des études courtes. Moi je suis né à Moya, sur l’île d’Anjouan. J’ai commencé ma scolarité à Mayotte. Depuis tout petit j’ai appris à me débrouiller tout seul, à ne jamais baisser les bras malgré la dureté de la vie, et venant d’une famille très pauvre, je me suis toujours dit que je n’avais pas droit à l’erreur, et je me suis fixé la réussite scolaire comme unique but. Cette année, je suis en Master de lettres arabes à Aix-Marseille Université. Honnêtement j’ai connu péripéties. Je suis tout le temps endetté, parce que le CROUS verse tardivement les 500 euros de bourse. Pourtant je n’ai jamais lâché prise, je distribue chaque matin des journaux pour pouvoir arrondir mes fins de mois » nous apprend Ibrahim Hassane, âgé de 24 ans, et originaire de Labattoire. « Depuis Mayotte les étudiants considèrent l’Hexagone comme un eldorado, ce qui brouille complètement la vision des jeunes et du coup les pousse à faire n’importe quoi une fois sur place. Sinon ,certains viennent ici pour de mauvaises raisons. En ce qui concerne l’éloignement familial, il ne se ressent qu’après de grosses difficultés scolaires, quand on se rend compte qu’on n’a pas d’épaule pour pleurer. Et cet éloignement restreint alors la motivation et annihile complètement l’envie d’intégration ici et réduit à zéro toute envie de remonter la pente. » insiste Bensoumeitte Diva Toybou.

Pour Fahoullia Mohamadi, doctorante en Chimie à l’Université de Perpignan « Les difficultés ont été présentes mais grâce à l’aide et le soutien de ma mère j’ai pu m’en sortir. J’ai également connu des difficultés pédagogiques la première année en Hexagone, mais j’ai persévéré et j’ai travaillé plus dur encore pour réussir. La réussite dans les études dépend souvent du facteur « motivation » : en effet c’est celui qui sera le plus persévérant, bosseur, et ambitieux qui se distinguera. Il ne suffit pas d’être intelligent, il faut aussi le vouloir et être motivé, avoir un objectif et s’y investir. Malheureusement pour beaucoup les problèmes financiers, d’adaptation et autres auront eu raison de leur motivation. »

La DASU est-elle responsable de l’échec des étudiants mahorais ?

La DASU (Division des affaires scolaires et universitaires) est une institution du Conseil Général de Mayotte. Elle a pour but d’accompagner les étudiants mahorais en les octroyant des prestations sociales, c’est-à-dire, des versements d’argent. Néanmoins, certains étudiants se plaignent que les prestations arrivent tardivement, d’autres affirment que la DASU n’a jamais respecté l’engagement de verser leurs bourses. « J’ai envoyé toutes les pièces nécessaires pour avoir droit à la bourse de la DASU. Et on m’a répondu par l’affirmatif. Mais depuis que je suis arrivée en Hexagone, jamais ils ont tenu leur engagement. », nous a appris Radhuya Saïd. « D’ailleurs, si j’avais cette bourse j’aurais fait des études longues. Parce que, si j’ai arrêté la faculté c’est pour raisons pécuniaires. » rajoute Radhuya . «Je perçois 82,4 euros de la DASU et 160€ du CROUS. Le CROUS a toujours respecté son engagement, mais la DASU ,je ne sais pour quelle raison , a souvent du retard. Vous savez que ça nous arrive d’envoyer 5 voire 10 fois le même document à la DASU et ,enfin de compte , on nous dit que ce même document manque à notre dossier. On ne comprend pas comment cela puisse être possible alors qu’on multiplie les communications téléphoniques à Mayotte et surtout que les documents sont remis en main propre par nos parents aux agents de la DASU. De toute façon, on m’a dit à mon arrivée en Hexagone de ne pas trop compter sur la bourse de la DASU! », confie Bensoumeitte Diva Toybou. «Heureusement pour moi , je fais partie des chanceux qui ont des parents qui ont fait des études et qui peuvent envoyer de l’argent tous les mois » conclut Bensoumeitte, dont le père est professeur au lycée Younoussa Bamana et la mère, conseillère pédagogique. « Depuis toujours ma mère nous a poussé mes sœurs et moi à travailler à l’école et avoir de bonne notes. Elle a beaucoup investi financièrement dans du matériel pédagogiques et dans nos études en général. Mes grandes sœurs ont fait de longues études. C’est également un exemple pour moi et une motivation. J’ai fait des études car je suis curieuse : plus j’en apprends, plus je veux en savoir. Je suis vraiment passionnée pas les énigmes de la vie et c’est au fur et à mesure que mon parcours s’est construit. En somme, c’est surtout grâce à l’aide et au soutien de ma mère que j’ai pu m’en sortir. En ce qui concerne la DASU , elle a toujours assuré ses prestations mais ces dernières étaient irrégulières . Or l’étudiant doit s’acquitter de certains règlements financiers à des dates régulières (loyer, factures, transports). Le retard apportait donc des disfonctionnement à ces niveaux. Et si l’étudiant n’est pas dans de bonnes conditions mentales car trop préoccupé par des problèmes financiers, son travail et sa concentration en sont directement affectés. Je pense que beaucoup ont arrêté pour travailler et subvenir aux besoins vitaux et primaires, mais encore une fois c’est au cas par cas. Il y en a qui se tournent vers des études courtes notamment le BTS puisqu’il conduit le plus souvent à un métier, ce qui peut être une motivation et un très bon argument quand on a peu de moyens. Mais je ne crois pas que le fort taux d’échec soit uniquement lié au problème du retard de prestations de la part de la DASU . » affirme Fahoullia Mohamadi.

Pour Ali Amir, natif de Passamainty, chargé de travaux dirigés en Droit civil à l’Université Paul-Cézanne : « le fait que la DASU fasse des promesses et ne les tienne pas est une chose, mais ce n’est pas une raison pour amputer toutes les responsabilités à la DASU. Je prends l’exemple des étudiants africains qui sont inscrits dans les Universités françaises : beaucoup arrivent sur le territoire sans connaître personne. Ils sont obligés de travailler pour financer leurs études, payer leur logement et se nourrir. Pourtant , ils s’en sortent sans difficulté dans leurs études. D’ailleurs, c’est grâce à eux que le taux de thésards est en hausse en France. Par contre, les étudiants mahorais bénéficient de tous les avantages pour réussir sans ambages leur cursus universitaire. Ils ont droit à un logement en résidence universitaire, et ils perçoivent la bourse du CROUS, sans compter celle de la DASU. Certes cette dernière arrive en retard, mais bon ! »

Pour conclure , la défaillance du système scolaire à Mayotte est la principale cause du taux élevé d’échecs des étudiants mahorais en Hexagone. Les chiffres sont là pour le confirmer :seulement 20% des élèves du CM2 ont des acquis convenables. Et ces 20% sont des enfants issus des milieux favorisés. Notons qu’il n’y a que la moitié des élèves scolarisés à Mayotte qui atteint la 6e . Et seulement 15 % d’une tranche d’âge qui arrive au bac. En outre, le fait que les élèves mahorais n’ont pas l’habitude de la lecture est problématique , puisque par manque de lecture , on a du mal à déterminer le contexte d’utilisation d’une expression . Par conséquent , les étudiants mahorais confondent les registres de langues , certains utilisent le registre pour s’exprimer par écrit à l’Université . Et comme la documentation est importante à l’université , si on a pas l’habitude de la lecture , on ne peut pas s’en sortir . Quand bien même le système scolaire à Mayotte est de toute évidence lacunaire, certains Mahorais parviennent à mener leurs études de front. Il y a donc aussi une question de motivation personnelle qui est en jeu.


Des diplômés petits commerçants au marché de Volo volo

Moroni, jeudi 12 juin 2008 (No Man’s Land) – Ils sont nombreux, pas moins d’une centaine, mais discrets ; ces jeunes diplômés, venus des différentes îles de l’Union des Comores, qui s’improvisent petits commerçants au marché de Volo Volo. Ils se prénomment Zaïdou, Saïd Ali, Maira, Ali Saïd Aboudou, etc. De la patience, ils n’en ont plus. De la frustration, ils en ont à revendre. Seul ce secteur informel, ce petit commerce, reste le recours de ces laissés-pour-compte. A l’ombre des marchands d’illusions, les vendeurs du désespoir se livrent. Reportage !

Kuni

Au marché de Volo Volo plus de cent petits commerçants sont diplômés. Les uns ont fait leurs études à l’étranger, à Madagascar surtout, les autres, la plus grande partie, sont issus des deux universités du pays, Mvouni et Patsy. Saïd Ali, âgé de 37 ans, a une Maîtrise de Géographie, dispensée par l’Université malgache de Tuléar. Ce père de famille, originaire de M’ramani, au sud de l’île d’Anjouan, est rentré au pays en 2004.

Dans l’espoir d’être recruté par l’île autonome d’Anjouan, il a été bénévole pendant six mois au Lycée de Louara, dans la presqu’île des Nyumakélé. En fait, il a dû tout arrêter parce qu’il ne pouvait plus payer ses frais de transports. A son arrivée à Moroni, en mai 2005, il a d’abord enseigné dans des écoles privées. Comme il était payé au rabais et avait plusieurs mois d’arriérés de salaires, il a fallu qu’il renonce. Encore une fois. Ne pouvant plus attendre une suite de sa demande d’emploi au ministère de l’Education Nationale, il s’est alors décidé à devenir petit commerçant au marché de Volo Volo.

Depuis, grâce au soutien de gros commerçants de la ville, il est là, devant le siège de la société d’eau et d’électricité (Ma-Mwé), en train de vendre des chaussures. « J’ai commencé à faire ce travail depuis l’âge de 20 ans, à Mayotte. Mais à cette époque, pendant mes années de collège et lycée, c’était pour pouvoir m’acheter des cahiers, des stylos et des vêtements. Maintenant, collaborer avec des gros commerçants est devenu ma seule issue. Je vends ici pour subvenir aux besoins de ma petite famille » confie Saïd Ali.

Loutfi, vendeur de vêtements, a lui aussi fait cinq ans à Madagascar- dommage qu’il n’ait pas répondu à nos questions. Parmi les bouchers de Volo Volo, des diplômés, il y en a plein. Ali Saïd Aboudou dit Victor en fait partie. Du village de Bandramadji la Mbadjini, il est titulaire d’une licence en Hôtellerie. Ayant travaillé, après son retour de Madagascar, pendant onze ans à l’Hôtel Galawa Beach jusqu’à sa fermeture en 2001, il a déposé plusieurs dossiers sur le marché du travail. Vainement.

Aujourd’hui, au côté de son ami Youssouf Madi Soilih, titulaire d’un DUT de l’Université des Comores – initiateur du Syndicat des Détaillants de Viande de Volo Volo (SDVV)- il nous a promis : « Je vais faire le plus d’économie possible. Après je vais me lancer dans une grande affaire. » Zaïdou Ben Daoud, 32 ans, originaire de Tsémbehou, qui ne se lasse jamais de traîner sa brouette pleine de tomates, nous a lancé, d’un air moqueur, dès qu’ils nous a vu : « J’ai un BTS en communication. Depuis 2005 que j’ai déposé un dossier à l’ORTC ( Office de la Radio et Télévision des Comores) , je n’ai toujours pas eu de réponse. Pourtant ma mère son rêve a toujours été de me voir devenir fonctionnaire. »
Ce qui est sûr, ces jeunes, que personne n’en parle, qui sombrent dans l’indifférence de l’Etat, ont tous des rêves brisés. Des rêves qui, se transformant en cauchemars, finissent par les rendre tous des desperados, comme tous ces jeunes diplômés dans l’espoir d’une vie meilleure ont péri dans la mer de Mayotte : où les plus chanceux, creusent des fossés ou deviennent taximen au noir.

Assade Moussa a lui un DEA en Physique Nucléaire. Il est rentré au pays depuis 2005. Jamais il n’a pu se trouver un job. Reprenant la phrase de Saïd Ali Bourhane, titulaire d’une licence en Biologie végétale de l’Université de Tananarive, « Toutes ces années de travail pour rien. »


Pendant ce temps que fait l’Etat ?

« L’Etat est pris dans l’engrenage. Il est obligé de scolariser les élèves, de plus en plus jeunes, de plus en plus nombreux. Et quand ils sont scolarisés, il les abandonne » déplore l’écrivain Aboubacar Saïd Salim. Abandonnés, sont sûrement ces jeunes diplômés, d’un pays selon Aboubacar Saïd Salim« on a éduqué depuis plusieurs générations les gens à devenir fonctionnaires ». 57, 4% de la population des Comores a moins de 20 ans, le taux net de scolarisation des 6-11 ans est de 60, 6%, mais le taux de chômage est de 14, 3%. Il est à rappeler ici qu’on dit chômeur toute personne à la recherche d’un emploi, sinon qui a postulé pour un emploi, et aux Comores rare sont les jeunes qui postulent sur le marché du travail ces derniers temps.

Après un tour à la Fonction Publique, un des responsables nous a mis dans la confidence : « Depuis 2006, à l’arrivée du président Sambi, on ne recrute plus à cause d’une masse salariale devenue insupportable. Toutefois, il y a eu une vingtaine de nouveaux recrus – qui n’ont subi aucun concours comme le suggère la loi -depuis le début de son mandat. Et c’est lui-même qui l’a dit lors d’un discours officiel. En tout cas, chaque jour il y a des nominations de gens qui ne sont pas fonctionnaires. D’ailleurs, s’ils l’étaient, ils auront, en plus de leurs salaires, perçu que des indemnités ; au lieu de ces salaires aux chiffres astronomiques. » Les Comores subissent discrètement depuis quelques années un plan d’ajustement structurel. Apparue vers 1980 , l’expression « ajustement structurel » est du FMI ( Fonds Monétaire International) . D’après cet organisme , pour développer un Etat déficitaire , il faut le dégraisser , réduire ses dépenses , privatiser les secteurs productifs , en l’occurrence ( aux Comores) , la société des hydrocarbures , les sociétés des entreprises de manutention maritime , la société des eaux et électricité etc… Toutefois , ce sont les effets à court terme des plans d’ajustement structurel que connaissent les Comores depuis , à savoir la hausse du chômage, inflation , et aggravation de la misère .

Selon toujours l’écrivain Aboubacar Saïd Salim, qui est secrétaire général à l’Assemblée nationale, « comme la filière vanille est morte, l’Etat doit créer une structure d’accueil des étudiants qui viennent d’être formés, encourager la création d’entreprises et d’une Ecole Nationale d’Administration ».

Et en parlant de ces jeunes diplômés « désoeuvrés » de Volo Volo dont « aucun recensement n’a été fait », d’après lui, « l’Etat doit, comme ces jeunes travailleurs se regroupent déjà, se cotisent pour envoyer quelqu’un à l’étranger [Dubai, Des-Es-Salam, etc.], leur construire un central d’achat, pour pouvoir améliorer leurs circuits de distribution par des points de ventes ». En tout cas , la créativité endogène nécessaire pour le développement d’un pays est belle et bien là , on le voit avec ces jeunes qui ont la fureur de vaincre … En fait la créativité endogène , sans relent de paternalisme , veut dire compter sur sa propre force et ses propres capacités pour résoudre ses problèmes . Cela dit ces jeunes n’attendent qu’un coup de main de l’Etat pour aller de l’avant.

En effet, le développement social, peu rentable par rapport au développement économique, mobilise moins les bailleurs de fonds, mais cela ne veut pas dire que les Comores qui ont participé au sommet social de Copenhague en 1995 doivent tout ignorer de ce qui a été convenu par les pays membres de l’ONU : « Les gens d’abord ». Et sans donner du travail à ces 2000 nouveaux jeunes cadres qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi, comment notre pays saura-t-il atteindre les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) pour espérer réduire la pauvreté et relancer la croissance économique, à l’horizon 2015.

A mi-chemin de son mandat, le président Ahmed Abdallah Sambi est confronté à un défi majeur, qui fait partie des trois grands chantiers de son programme qu’il s’est engagé de réaliser. Les seuls beaux discours ne suffiront plus à calmer le désarroi légitime de toute une génération qui avait placé en lui tous ses espoirs.