Adjimaël HALIDI

Un bateau chavire au large de la Grande-comore

Le Madjiriha, un bateau comorien faisant la navette entre les îles de l’archipel des Comores, a chaviré ce mardi 9 août, à 3 heures du matin, au large du sud de la Grande-comore, pas loin de Sima ya M’bwani, dans le M’badjini. Il avait à son bord, d’après le service de l’Immigration, « 12 membres d’équipage, 93 passagers et des enfants dont le nombre est inconnu ». Des chiffres contestés par certains rescapés, rencontrés à l’hôpital El-Maarouf, qui parlent « de plus de 200 passagers: étant donné que des passagers du Ville de Sima, un autre bateau comorien qui n’a pas pu partir hier soir pour Anjouan, ont été transbordés dans le Madjiriha. »

Bateau à la dérive
Bateau à la dérive

Le bateau, qui a quitté le port de Moroni à 22 heures 30, est tombé en panne aux environs de minuit. « A minuit, notre moteur [le Madjiriha avait un moteur au lieu de deux] a commencé à chauffer, en raison de cette panne de pompe à eau, il n’y avait plus de liquide de refroidissement. Nous avons éteint le moteur pour pouvoir le réparer. Nous avons appelé la capitainerie du port de Moroni, pour qu’elle nous envoie des secours. On nous a faits comprendre que notre demande ne pouvait pas être satisfaite, faute de carburant. On a insistés, mais sans succès» nous a confié un rescapé qui travaillait dans le bateau. « Nous avions mis de l’eau dans le moteur en panne et l’avions démarré, mais à peine que le bateau a-t-il été démarré , l’ l’hélice a vite tourné , le bateau a dévié , percuté un rocher et chaviré. » nous a appris le rescapé Nadhir Abdou Saïd, graisseur dans le Madjiriha. L’armateur du bateau est l’homme d’affaire et producteur de disque Abdoulatuf Madjiriha. Le bateau était au mouillage pendant plusieurs mois, il n’a repris la mer que depuis 2 mois, après l’achat en Europe d’un moteur d’occasion. « Visiblement, le Madjiriha était en bon état, à moins que le commandant du bateau nous ait menti. » nous a-t-on expliqués au service de l’Immigration, le matin du naufrage. Ainsi, n’y a-t-il jamais eu lieu de visite technique ; par ailleurs, la vétusté du moteur ne serait-elle pas la cause de l’avarie au bateau ?

« On a dû nager pour atteindre le rivage. Et sitôt une voiture qui passait sur la route nous a évacué à l’hôpital El-Maarouf » nous a confié le rescapé Jaffar Mourchid, âgé de 23 ans. « J’ai pu examiner 1 cuisinier, 2 graisseurs et 2 passagers. Et j’ai constaté que psychologiquement ils se portent bien. » nous a rassurés Docteur Mistoihi, psychiatre à l’hôpital El-Maarouf. « On estime à 40 au moins le nombre de morts, dont 17 enfants. On a recensé, pour le moment, 61 rescapés, dont un bébé. Pour l’instant, le nombre de disparus est estimé à 23. » nous a dit Mohamed Cheick, journaliste à la radio nationale. Toutefois, aux environs de 13 heures, 25 corps, dont 11 enfants, ont été transportés pour conservation en chambres froides de l’hôpital El-Maarouf. D’autres corps sont attendus dans les heures à venir. Il est à souligner que les secours n’ont commencé à s’organiser que plusieurs heures plus tard, aux environs de 8 heures. [A 16 heures 30, « les corps transportés à l’hôpital El-Maarouf sont au nombre de 52, et 10 sont attendus dans les heures à venir. Les chambres froides sont suffisantes pour tous les corps » nous a appris Mounsuf Mohamed Saïd, Directeur de l’hôpital El-Maarouf. Des religieux, dont le prédicateur Jibril, viennent d’arriver à l’hôpital El-Maarouf. Ils vont faire la toilette mortuaire musulmane aux corps. Il est à noter que chez les musulmans une toilette purificatrice est effectuée suivant un rite bien précis. Ce matin, mercredi 10 août, « on a recensé 59 corps, dont un n’a toujours pas été dégagé de l’épave en raison des intempéries »a-t-on appris de source militaire. ]

En moins d’une décennie, il y a eu aux Comores plus de 4 naufrages qui ont faits des milliers de victimes. Les barques cherchant à atteindre clandestinement les côtes mahoraises sont exclues du compte. Maintenant, il est temps, à l’heure où plusieurs âmes comoriennes finissent leur destin dans les fonds sous-marins, d’établir les responsabilités de chacun dans ce pays en détresse.


Les Cicatrices d’Alain-Kamal Martial

Cicatrices d'Alain-Kamal Martial
Cicatrices d’Alain-Kamal Martial

Comment voulez-vous que je vous parle moi qui ai été engendré par la guerre, comment voulez-vous que j’agisse moi, moi qui porte dans la tête les noms des morts fusillés des générations et des générations assassinées […].

Un homme, machette à la main, le geste suspendu et la pensée qui revisite les cicatrices, les guerres, les haines. Un temps immémorial, au temps où le geste ne s’accouplait pas avec la pensée, un temps hors de la langue, au temps où seul le bruit de la machette disait la destinée de chaque être, de chaque génération, de l’homme contre l’homme, de la nation contre la nation… Un narrateur sans nom. Un pays sans nom. Une terre sans nom. Au temps où la mort ne peut être que. Une initiation dans le silence et la négation de la parole. Mais le geste suspendu du narrateur et la parole qui persiste à être, la mère qui raconte le viol permanent…
Cicatrices est un roman qui interroge sur la langue, sur le legs des ans, la barbarie recommencée et le rêve des hommes. De paix ou de violence ? Un roman singulier et troublant.

Titre du livre : Cicatrices
Genre : Roman
Editeur: Vents d’ailleurs
Prix Unitaire: €8,00
Format : 14 x 20,5 cm, 64 pages
ISBN : 978-2-911412-86-8


SAMBI : PARTIRA OU NE PARTIRA PAS ?

Officiellement le départ du Président Ahmed Abdallah Sambi est fixé le 26 mai 2011 et à Baït-Salam, palais présidentiel des Comores, d’aucuns laissent entendre que les préparatifs de l’investiture du prochain Président de l’Union des Comores Ikililou Dhoinine ont commencé. L’opposition comorienne trouve la déclaration du départ de Sambi spécieuse et « attend de voir pour y croire », sachant que le mandat du Président Sambi a expiré depuis deux ans et pourtant il s’est toujours accroché au pouvoir.

Sambi
Sambi

Aux Comores indépendantes, deux questions ne cessent de triturer l’esprit de nombreux jeunes : « Où sont passés les 5 milliards de FC que le roi Abdallah d’Arabie Saoudite a octroyé à Sambi, au début de son mandat, pour la réalisation de son fameux projet Habitat, qui n’a jamais vu le jour jusqu’à présent ? Et où sont passés les 200 millions de dollars de la vente de la citoyenneté économique à 4000 familles bédouines, qui jusqu’à maintenant n’ont pas foulé le sol comorien ? » En effet, qui aurait cru qu’un maître du Coran comme Sambi aurait pu se faire une place au soleil en trompant tout un peuple et des Etats et en imposant un automate à sa succession à la tête de l’Etat comorien ?


En finir avec Bob (Denard) : Revendication d’un parricide / de Sadani Tsindami

C’est une musique que l’on aimerait entendre souvent. Une musique au rythme des mots qui nous parlent, parce qu’ils nous concernent et traduisent cet air violent et triste des histoires confisquées. Loin des aubades viriles des assassins de l’aube, des orgues de Staline crépitant dans les imaginaires de peur, un instant de pur plaisir, comme une sonate au crépuscule précède une bonne nuit aux côtés de nos amours.

en finir avec bob/ source : editions-harmattan.fr
en finir avec bob/ source : editions-harmattan.fr

Il s’agit de donner la mort et pas n’importe quelle mort, une mort qui délivre et qui rend fiers.

Un livre, un Chien, une histoire et un pays.

Il en est de ce que j’entends louer, « en finir avec Bob », opus du poète, nouvelliste et romancier Comorien, Nassuf Djaïlani, natif de Chiconi, Mayotte, œuvrant dans la droite ligne des Serrez-la-main, ces illustres aînés qui ont combattu le double péché insulaire, le reniement et le séparatisme.

En finir avec Bob

L’entreprise de l’auteur ?

« Se réapproprier ….l’histoire [comorienne]… fouiller… interroger, pour reconstituer des trajectoires rompues ». Et il a réussi en ce sens que sa dernière livraison littéraire pose et dispose de notre Histoire récente avec un H majuscule.

Un jeune homme de 25 ans, a nourri et réussi le projet d’assassiner un autre homme.

La belle entreprise !

Cet autre homme l’est-il vraiment ? Qu’est-ce un homme, finalement ?

Il a décidé de faire passer à trépas, Bob Denard, le mercenaire beau frère de certains d’entre vous, qui a assassiné deux chefs d’état de chez nous et qui reste un mythe pour des esprits égarés. Il a réussi. Et de quelle manière dis donc !

Il l’a dépecé comme on prépare un saurien, une tortue dans le clair obscur. Pour un festin de pauvre.

Il fallait qu’un jour un Comorien talentueux, ose cette sortie. Et Dieu que cela fait plaisir !
Plaisir de lire ces instantanés visuels, plaisir de sentir la colère émergeant suivi d’actes définitifs : Tuer un mercenaire qui a tué tant d’Africains. Tant de Comoriens, même si c’est une fiction. Mais la fiction, n’imite t-elle pas le réel ?

Plaisir d’outre-tombe

Ahamada C., jeune Comorien, mort, fusillé sûrement, se définit et définit l’acte cathartique d’avoir tué le père. Ce père, c’est Bob Denard. Par forts détails, il énumère comment, son couteau s’est planté dans les viscères du mercenaire, jusqu’à la mort de ce dernier. Avec la satisfaction d’une mission accomplie entre dérision et cynisme, tout cela devant un tribunal ….

Après avoir tué Bob, Ahamada C. a été occis lui aussi. Mais avant, il a subi un texte, un texte colonial, une loi écrite par les vainqueurs, au tribunal de Moroni.

Ici le loufoque se dispute à la bêtise du président du tribunal. Dans ses frusques comiques, dépassé par l’avènement d’un monde en gestation, le juge ne comprend pas comment, un jeune Comorien a pu tuer, cette honorable personne, Monsieur Mustwafa Mhadjou et exige tout le respect dû à Bob Denard, dans le langage emporté d’Ahamada C., évoquant minutieusement la mort du Chien. Evidemment, Ahamada C. a copieusement « pissé dans la raie » de Bob, devant monsieur le président du tribunal.

Pour Ahamada C. cet individu est un « grand salaud », point barre. Et il a fait œuvre utile en lui faisant dégouliner le sang par la moindre aspérité de ses pores, à ce porc !

Ahamada C. dans sa tombe, ne fait pas que se remuer, il se remémore et nous rappelle qui est sa victime, -est et non pas était- car, Bob Denard est de ces spectres obsessionnels que l’Histoire comorien ne retient qu’au présent, tellement ses péchés- L’enfer aura ses restes minables- ont marqué nos années de jeunesse et hante encore et toujours nos vies.

Le discours est direct dans « En finir avec Bob ». Point de chichis. Les chiens ne le méritent pas. Point de concessions, les mercenaires devraient être voués à ce genre de mort. Point de regrets. Un révolutionnaire sait toujours ce qui l’attend. Une mort expéditive dans un pays aux lois des autres.

Au tribunal, Ahamada C. explique au juge, le sens de son acte : Un acte de contrition. Un rachat de et pour son peuple, à l’instar de ce garde qui devait le pendre et qui s’y refusa, estimant que quiconque aura donné la mort à tel individu, revêt les habits de l’héroïsme .On l’aura compris toute la démarche procède non pas de l’analyse mais de la catharsis.

Plus tard, La mère d’Ahamada , reprend symboliquement le combat de l’espoir, en plantant des mots dans un jardin imaginaire : Des mots au sens de liberté, de justice, de dignité. Pour garder le souvenir digne d’un fils digne d’être son fruit.

Malheureusement, de ces efforts, la mère ne reçoit pas non plus de réponse et désolée et attristée, retombe dans la morosité et le désespoir caractéristiques, cette sorte de fatum, qui fait naître des figues de barbarie à la place de roses souhaitées : « C’est pathétique, mais le génie de ce pays réside dans notre capacité à poser les bonnes questions et d’être éternellement résolus à apporter les mauvaises réponses »…Paroles d’une mère !

Dieu omniprésent, en son sein, Ahamada C., lui a permis de dire le mot de la fin, de sa tombe : « Fouiller, fouiller toujours….dans une quête désespéré du sens »…

Ce sens, c’est le sens comorien, la réhabilitation de notre étant focalisé autour de notre propre identité et de notre approche par rapport au monde. En terme littéraire puisque EN FINIR AVEC BOB est une fiction socialisée et historiquement testimoniale, Nassuf pose la véritable question de l’affranchissement et de la dignité de l’homme, quel qu’en soit le prix.

La mort d’Ahamada Combo- avec le symbole obsédant du nom de Combo- connu pour être le fils de Bob Denard, est un clin d’œil, pour signifier comme dit le SAINT Coran « Faman Ya’an mala Mithkala Dharati haïran ya ra’u » . Comme le Christ a porté sur ses épaules, les péchés de son peuple, nous accordons au Combo fictif de « En finir avec Bob », la rémission des nôtres.

Il nous a débarrassés de nos cauchemars, du honni Bob Denard !

Personnellement, j’ai trouvé le ton juste, l’écriture limpide, la compréhension immédiate et le sens interrogateur. Le livre est parsemé de symboles identificateurs. 6 juillet 1975. 5, place de l’indépendance. Protocole du don de parole. Tsi unika ‘om drongo… Le Coran. Les bœufs que l’on mène à l’abattoir …

J’ai aimé. De sorte que dans ce little bled où je vis, en Comores traditionnelles, j’ai tout fait pour rencontrer l’auteur. Il était là, entre un Trembo (moi) et un coca (lui). Nous avons devisé, ri un peu (notre condition ne permet pas la connivence avec le malheur).

Nassuf, Chapeau !

Lisez « En finir avec Bob », on pourra en parler finalement, ensemble, comme au beau vieux temps de l’exil.

Sadani Tsindami

Œuvres de Nassuf Djailani :

Théâtre :

En finir avec Bob- L’Harmattan, 2011
La vertu des Ombres-Inédit, 2006 ( monté par le théâtre Djumbé)
Les balbutiements d’une louve- inédit
Sur le pic du hurlement- inédit
Cette schizophrénie que nous avons en partage-inédit

Poésie :

Le songe d’une probable renaissance- Komedit, 2010
Roucoulement (variations poétique)-Komedit, 2006
Spirales. Editions les Belles Pages ()Marseille, 2004 (épuisé)

Roman :

Comorian vertigo- inédit
Lorsque j’étais une espérance (à paraître)
Cette morsure lente et insidieuse (à paraître)