Adjimaël HALIDI

Facebook Tour de Babel numérique ?

Seuls les hommes instruits sont libres
Epictète

Ecrire sur le réseau social Facebook tel qu’il est exploité aux Comores est une entreprise complexe et compliquée en raison du nombre très restreint des internautes dans l’archipel. A peine 10 % des Comoriens résidant dans l’archipel naviguent sur la toile dont bon nombre habitent dans les milieux urbains. Il est à noter ici que près de 48% des pauvres aux Comores vivent dans les  milieux urbains contre 55 % dans les  milieux ruraux ; et peu de villages aux Comores ont l’électricité. La majorité des internautes comoriens se connectent à internet à partir de cybercafés d’où le foisonnement des cybercafés dans les villes comme Moroni, Mutsamudu et Mamoudzou. Toutefois avec le coût très élevé de la connexion, rares sont ceux qui s’attardent sur la toile : la plage horaire étant littéralement limitée faute de ressources, la consultation des messageries électroniques reste prioritaire.

N’empêche que depuis septembre 2006, date à laquelle Facebook est ouvert à tous, des Comoriens dont beaucoup font partie de la diaspora en France se sont appropriés le réseau social pour publier des trombinoscopes, pour affirmer leur attachement à leur village par des textes, des photos et des vidéos, ou tout simplement pour faire étalage d’un savoir.

Au demeurant, Facebook ne peut être le support d’idées subversives aux Comores comme fut le cas en Tunisie et aujourd’hui en Egypte. Pour les raisons suivantes :

–          aux Comores, il n’y a qu’une infime minorité qui a accès à Internet

–          80% des Comoriens sont illettrés*, pauvres et paysans. Cela dit ils ignorent autant  leurs droits que leurs devoirs.

–          sont visibles sur Facebook des débats houleux parfois entre Mahorais et autres Comoriens à cause du contentieux franco-comorien sur l’île de Mayotte , d’autre fois entre partisans du régime au pouvoir aux Comores indépendantes et sympathisants, si l’heure n’est pas à la diffusion de clips poussifs ou de photos ostentatoires.

Effectivement  sur Facebook on ne prend pas conscience que des dégâts que cause le brain drain .On se rend aussi compte combien le Comorien confond le terme patriotisme (l’attachement à une patrie) avec le terme nationalisme (attachement à une souveraineté d’une nation une et indivisible en rejetant ainsi les particularismes régionaux). Les facebookeurs comoriens se disent souvent nationalistes pendant que bon nombre d’entre eux se décarcassent à travers le réseau social à valoriser leur identité villageoise. Certes certains arrivent à se dégager des sentiers battus en publiant des réflexions sur la société comorienne dans sa généralité, mais d’aucuns ne les rejoignent, jugeant le travail intellectuel infructueux. Mais rien n’est étonnant dans cette indifférence vis-àvis du travail intellectuel quand nous savons que bon nombre des Comoriens n’ont plus foi dans l’Etat depuis qu’à la Grande-comore c’est la diaspora comorienne en France qui construit les écoles et les routes et réhabilite les hôpitaux et qu’à Anjouan, tout le monde nourrit, dans le désespoir, le projet d’émigrer à Mayotte. Aujourd’hui aux Comores, en plus de ceux qui votent par mimétisme ou par solidarité familiale, beaucoup échangent leur vote contre des billets de banque ou des bols de riz.

Si Facebook a pu être un support de la révolution tunisienne, c’est parce que depuis l’indépendance du pays, l’Etat tunisien a toujours investi dans l’instruction de son peuple. C’étaient des Tunisiens instruits, des nationalistes tunisiens au chômage qui avaient investi les rues pour pousser l’ex-Président Ben Ali à la porte.  La vulgarisation d’Internet par Ben Ali, pendant ses dernières années de règne sans partage, a manifestement  contribué à la montée des protestations. Par ailleurs en 2009, si le Liyannaj  Kont Pwofitasyon en Guadeloupe a pu par la voix de son leader Elie Domota mobiliser pendant plusieurs semaines les Guadeloupéens, c’est parce que cette île à une forte majorité de gens instruits. Si les facebookeurs tunisiens  se sont refusés à cautionner à tout jamais les injustices du régime de Ben Ali par le silence et l’indifférence en élevant la voix pour dire NON c’est parce que ce sont des jeunes ayant des capacités intellectuelles qui leur permettent du coup de prendre du recul, des capacités intellectuelles qui leur permettent de discerner le bien du mal.

*Illettré désigne ici et les analphabètes et ceux qui ont désappris, sachant que l’analphabétisme de retour est un phénomène important aux Comores. Dans cet archipel où l’Etat est à construire, toute révolution au sens propre du terme reste une arlésienne.


JEAN MARTIN : Hobereau de la République ou vieux gaga ?

Lundi 24 janvier 2011, 18h, la salle de cinéma de Mamoudzou est comble -pour une fois, il faut le souligner !-, en vedette américaine, Jean Martin, historien, spécialiste de la colonisation française, est « l’expert » choisi par les Naturalistes pour venir éclairer de ses lumières la grande question qui hante tous les résidents de Mayotte, à savoir : « Pourquoi Mayotte est-elle restée Française ? »

Darissama à la Grande-comore
Darissalama à la Grande-comore

Pourquoi ce choix des Naturalistes d’abord ?

Il faut savoir que Mr Jean Martin est l’auteur de « Histoire de Mayotte département français », un livre sorti juste après la visite du Président Sarkozy et qui essaie tant bien que mal de donner –d’inventer?- une légitimité historique à la départementalisation de Mayotte (un « livre de commande » comme l’a souligné un intervenant pendant la conférence). En outre, il est à noter que l’ancien Vice-Recteur, Mr Cirioni avait lui aussi fait appel à cet « expert » pour la préface de « Raconte-moi l’histoire », le livre d’histoire destiné aux écoles de Mayotte (préface où la mise en avant par l’auteur du concept des trois races –blanches, noires et jaunes !- avait choqué plus d’un lecteur habitué à des conceptions un peu plus « modernes » de l’histoire…). Bref, les Naturalistes ont choisi le seul historien français assez partisan –pour ne pas dire plus…- pour vouloir bien se mouiller sur cette sombre affaire qui établit en 75 une frontière là où il n’y en avait jamais eu…

Alors, maintenant, que dire de cette conférence tant attendue ?

Personnellement, j’y étais allé avec son livre sous le bras, non pas pour me le faire dédicacer, mais parce que j’y avais relevé des inexactitudes ou des non-dits très tendancieux, voir franchement fallacieux. Or, nous avons assisté à une conférence aux propos plus mesurés que ceux de son livre, preuve que l’expert savait qu’il serait attendu au tournant par d’autres spécialistes de l’histoire locale et qu’il est moins facile de faire passer des idées partisanes au sein d’une conférence publique que dans un livre tiré à peu d’exemplaires chez une obscure maison d’édition…

Quelques amoureux de l’histoire régionale s’étaient effectivement déplacés et on a pu assister à un débat riche et contradictoire et non pas, comme l’a dit la journaliste de Kwesi-fm le lendemain à la radio, à un débat houleux mené par des partisans d’une Mayotte comorienne. Je tiens à vous dire, Madame la journaliste, qu’il y a une différence notable entre partisans d’une Mayotte comorienne et intellectuels seulement soucieux d’une vérité historique objective.

Alors, finalement, quel genre d’histoire Mr Jean Martin nous a-t-il conté ? L’éternelle histoire du pot de fer contre le pot de terre… Pour Mr Martin, il est évident que « l’histoire avec un grand H ne retient que l’histoire des vainqueurs ». Pas un mot sur les « serrez la main », pas un mot sur le lobbying de l’extrême droite française et des nostalgiques de l’Empire français, pas un mot sur la perte –pour la République- de la baie de Diego-Suarez en 73… Par contre, ces diables d’  « anjouanais qui s’accaparaient la terre des Mahorais » n’ont pas été oubliés par l’historien, comme quoi, quand on tient un bon bouc émissaire, il ne faut pas le lâcher… Pour le reste, le vieil historien a botté en touche pour toutes les questions dérangeantes qui lui étaient posées.

Alors, que retirer de tout ça finalement ?

Que ce vieux monsieur, comme certains journalistes, est aux ordres de la pensée dominante ? Ce n’est guère un scoop. Par contre, il faut souligner la lourde responsabilité  de laisser traîner de tels livres auprès d’une jeunesse mahoraise seulement soucieuse de connaître son histoire et son identité et qui ne dispose pas d’autres références bibliographiques. Car s’ils doivent croire Mr Martin, ils sont les descendants d’une civilisation indonésienne voire polynésienne -allez, on n’est pas à quelques milliers de km près !-, alors que « Makoua » -l’ancêtre africain- est devenu une insulte… Pas même une allusion à « l’homme de Bagamoyo », plus vieux reste humain retrouvé à Mayotte, daté de 800 ap. J.C. et qui, selon ses dents taillées en pointe, est de toute évidence un Makonde, ethnie vivant au nord du Mozambique qui a la particularité de se tailler les dents. C’est un peu comme si un historien écrivait un livre sur l’histoire de France en oubliant de mentionner l’homme de Tautavel ! Révisionnisme historique ? Oui, nous sommes tout simplement là dans le conditionnement anodin de la mémoire collective de tout un peuple. Et il est grand temps que les historiens mahoro-comoriens se réapproprient leur histoire commune avant que leurs enfants se mettent à réciter « nos ancêtres les Gaulois ».

Car, n’en déplaise à Mr Martin, Mayotte est bien une ancienne colonie (il essaie de démontrer le contraire dès la première page de son livre en disant que « Mayotte a la particularité de n’être pas une vieille colonie »), tout comme les trois autres îles d’ailleurs et que la seule différence qui les oppose est que Mayotte a été achetée alors que les trois autres ont été conquises par la force du canon et la diplomatie de la poudre. Que s’est-il passé ensuite ? En métropole ou ailleurs, on pourrait parler de lobbying, mais ici, on parle juste de familles et de la fameuse « démocratie de l’enveloppe »…

DHARMA –Mkhubwa makoua-

NB: Les articles publiés dans la rubrique OPINIONS ne sont pas commis par des membres de l’équipe rédactionnelle de No man’s land mais  plutôt par les visiteurs du blog. Si vous aussi vous nourrissez  le désir de réagir sur un sujet d’actualité veuillez envoyer vos articles par courriel à l’adresse suivante : tetebwara@hotmail.fr


Ces fêtes qui nous ressemblent

F.D
F. D

Une fête, c’est comme un miroir. Elle nous renvoie ce que nous sommes. Et nous sommes d’un pays qui croule de plus en plus sous la précarité.

Il y a dix ans encore, à chaque début d’année musulmane, au mois de muharram, à la veille de la fête shiite de l’Achoura, les enfants du village de Tsembéhou se précipitaient dès l’aube à la rivière de Hamdou, où ils se purifiaient en se jetant dans l’eau et en lavant leur tablette en bois. Ce bain matinal était religieusement baptisé uhowa um’waha, qui signifie littéralement se baigner dans la nouvelle année. Ensuite, les bambins se rendaient aux madrasas où ils entamaient le djere, une lecture de l’alphabet phonique arabe et des derniers versets du Coran. Enfin, ils s’en allaient, les talibés en éclaireur, récolter des taros et des ignames dans les montagnes, notamment Dzialandze, Dzialautsuga, Hamuriyo et milimani Dindri. Les tubercules une fois récoltés étaient consommés au matin et au soir de la fête de l’Achoura. Et d’après les anciens de Tsembéhou, le début de l’année musulmane tombait toujours à pic entre la fin du kousi (l’été)  et le début du kashikazi (la saison des pluies). La récolte servait à  consommer la fête de l’Achoura en beauté mais aussi à avoir des provisions pendant toute  la saison des pluies. « Dans les années 60, se souvient un ancien, les denrées alimentaires comme le riz se faisaient rares. Et comme la société coloniale le Bambao avait fait de toutes les terres cultivables des plantations de sisal, d’ylang, de jasmin etc, les villageois n’avaient que de modestes parcelles sur les montagnes pour cultiver des tubercules et d’autres cultures vivrières».

Aujourd’hui, les villageois de Tsembéhou ne fêtent plus l’Achoura. Peut-être est-ce parce que le riz ne se fait plus rare avec le passage des kotria et autres djahaz (boutres) aux bateaux à moteur. Ou peut-être est-ce à cause de l’émigration vers Mayotte et la Grande-comore de ces jeunes qui considèrent le travail de la terre comme ingrat et qui ont du coup laissé  de nombreuses terres à l’abandon. Ou peut-être est-ce à cause des médecins qui disent que consommer beaucoup de tubercules provoque le goitre.

Toutefois, on célèbre le Miraj à Tsembéhou. Dans l’Islam, c’est dans la nuit du Miraj, que le nabi Muhammad est, du toit de la mosquée de Jérusalem, monté -à dos du Bouraq- aux cieux où Allah lui a recommandé les cinq prières quotidiennes. Mais à part l’abattage des zébus qu’une minorité de crésus va sauvagement se partager, l’ambiance de la fête du Miraj est plutôt morose que festive. Et cette ambiance morose est similaire à celle des fêtes des Aïd-Al Kabîr (fête qui marque  la fin du pèlerinage à la Mecque) et Aïd-El fitr (fête qui marque la fin du ramadan). Désormais depuis une décennie, plus de vêtements pour les enfants pendant les Aïd et le Miraj. Désormais depuis une décennie,  plus de bols copieux de riz pendant les Aïd et le Miraj. Désormais depuis une décennie, plus de galettes aux noix de coco pendant les Aïd et le Miraj. La société de consommation fraîchement atterrie sous nos tropiques avec ses acolytes, la cherté de la vie et la baisse du pouvoir d’achat, fait que les fêtes, qu’elles soient profanes ou religieuses, ne soient plus des moments formidables pour se rassembler. De nos jours les fêtes sont devenues des miroirs. Elles nous renvoient la morosité de nos faciès et la précarité de nos sociétés.


KAWENI enfin dans la république ?

Wenka renga

Pour qu’il y ait éducation, il faut qu’il y ait en présence une génération d’adultes et une génération de jeunes, et une action exercée par les premiers sur les seconds. Il nous reste à définir la nature de cette action.

Emile Durkheim

Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons

Victor Hugo

 

Kawéni c’est avant tout deux mondes diamétralement opposés : une zone industrielle et un bourg aux allures de township. Réputé zone sensible et considéré comme étant le plus important bastion de sans-papiers français, les paniers à salade s’y rendent de tout temps. Reclus, discrédités, muselés se croient par le fait les jeunes de Kawéni. Ceux-là mêmes qui composent à eux seuls le 1/3 de la jeunesse mahoraise. Par ailleurs, Mayotte a le pourcentage de jeunes le plus élevé de tous les territoires français puisque 56% de sa population totale a moins de 20 ans. Cependant, derrière cette image négative que d’aucuns donnent  de Kawéni se cache une jeunesse forte et décente qui tente par tous les moyens de relever la tête.  Invitation à une plongée vertigineuse dans les arènes du bourg le plus complexe de Mayotte.

Manga-télé. 8h30. Housnou, 22 ans, et un groupe d’amis sont assis sous l’arbre à palabres. Housnou nous explique : « J’ai bien conscience que nombreux sont les gens à Mayotte qui n’aiment pas Kawéni. D’ailleurs, on est partout étiquetés délinquants ». « Même à l’école, on est mal vu. Par conséquent, on est renvoyé très tôt de l’école. Les professeurs n’ont que faire de la légalité, ils cherchent toujours la petite bête pour nous mettre à la porte. Les plus lésés sont ceux qui ont des parents qui sont en situation irrégulière. Comme ils espèrent régulariser leur situation grâce aux études, à leurs diplômes, et étant donné qu’une fois inscrit à un établissement scolaire on est inexpulsable, les professeurs font tout pour qu’ils deviennent des proies pour les gendarmes. » rajoute Saïd, âgé de 16 ans.

Au sénat, à l’entrée de Kawéni, Bolka, 19 ans, cheveux tressés, habillé comme une star de rap américaine, fait le pied de grue. Il raconte sous l’emprise de la frustration : « Quand on est jeune, renvoyé de l’école à 16 ans, et tout le temps en manque de liquidité, on n’a pas d’autre choix que voler. Tel est le système. » « Moi j’ai un CAP. Et j’ai cherché du travail sur le marché de l’emploi. En vain. Du coup, chaque après-midi, je me rends, comme beaucoup de jeunes de mon âge, sur le parking devant la SNIE de Kawéni où je noie mon chagrin dans l’alcool et me sers de la drogue comme exutoire. Et le soir venu je vais dévaliser les industries, les magasins et les maisons de tous ceux qui ont fait de ma vie un enfer. » conclut Bolka.

Sidi Nadjaydine est un enfant du pays. Il est fonctionnaire de la Direction de la Jeunesse et Sport du Conseil général. Et d’après lui «  les jeunes de Kawéni sont désœuvrés puisqu’ils n’ont ni plateau sportif ni Maison de la Jeunesse et de la Culture en tant que tels.  Le seul plateau sportif disponible à Kawéni est trop petit pour accueillir tous les jeunes du village. Il y a un temps, on a voulu faire une extension du plateau mais le terrain pour construire a fait défaut. En plus, bien que Kawéni accueille toutes les industries de Mayotte, il se trouve que le village enregistre un taux de chômage des plus importants. Et c’est inadmissible. Nos jeunes ont assez souffert de ce supplice de Tantale. Et si parfois, un des nôtres commet une déviance, casse une voiture ou cambriole une maison, c’est pour tout simplement dire qu’il en a marre de faire du lèche-vitrine. Êtes-vous au courant que dès qu’un CV est marqué Kawéni, il est directement mis de côté. Effectivement la mauvaise image qui nous colle à la peau  ne joue pas en notre faveur. » « Cette image erronée qu’on donne de Kawéni prend ses origines à l’époque où les habitants de Mamoudzou avaient leurs champs à Kawéni aux lieux-dits Majimbini, Kafeni, Pvilipvilini. En fait, quand les habitants de Mamoudzou se rendaient à leurs champs, les enfants de Kawéni, comme font tous les enfants du monde d’ailleurs, les taquinaient. Mais au jour d’aujourd’hui ces temps-là sont révolus. Autres temps, autres mœurs. Nos enfants se sont assagis. Néanmoins, ces mauvais souvenirs restent gravés dans les subconscients des habitants de Mamoudzou.  Aujourd’hui par contre comme il y a trop d’étrangers en situation irrégulière à Kawéni, à chaque descente des gendarmes, des enfants se retrouvent sans parents, sans repères. Donc pour survivre, ces jeunes sont obligés de se regrouper en bande et devenir en fin de compte des délinquants. » nous a appris Djamal, agent de la Mairie de Mamoudzou.

Pour relever l’image de Kawéni, une association s’est créée il y a deux ans.  L’association porte le nom de Wenka Culture. «  L’association Wenka Culture organise une remise de prix chaque année. Baptisé « La Nuit des Diplômés », nous remettons au cours de cet événement des cadeaux et des attestations de réussite à tous les jeunes fraîchement diplômés de Kawéni. Et nous avons remarqué que l’événement a un impact très positif sur les jeunes et leurs parents. Puisque ces deux dernières années, à chaque examen organisé sur le territoire, les pourcentages des jeunes diplômés de Kawéni surpassent ceux de tous les autres villages. Dommage qu’à chaque fois qu’on invite l’équipe de la radio et télévision Mayotte 1ère à venir couvrir l’événement elle ne vient jamais. Par contre, dès qu’il y a une bagarre, une grève, elle est la  première à être sur place ». nous a confié Ali Amassi alias Sakho, secrétaire de ladite association. En effet, les jeunes de Kawéni ont compris le mécanisme de l’effet Pygmalion visant à influencer l’évolution d’un élève ou d’une personne en émettant une hypothèse positive sur son devenir ( scolaire) .

Toutefois, depuis quelques temps, les gémissements de la jeunesse de Kawéni commencent à être entendus par les autorités françaises. No man’s land a pu prendre contact avec le sous-préfet délégué à la cohésion sociale et à la jeunesse M. Grégory KROMWELL : « En allant visiter Kawéni, nous nous sommes rendus compte qu’il y en a déjà une MJC, mais elle est complètement abandonnée. Elle est devenue un dépôt d’ordures. L’ État va  réhabiliter la MJC par l’intermédiaire d’un chantier école. C’est-à-dire nous allons remettre le bâtiment en état en collaboration avec les jeunes de Kawéni. Ce sont les jeunes eux-mêmes qui vont dire ce qu’ils veulent faire du bâtiment. Parce qu’il ne suffit pas d’avoir un bâtiment, une MJC, il faut surtout une vie culturelle autour ».

Et les autorités françaises ne comptent pas s’arrêter à une réhabilitation de la MJC de Kawéni. Elles ont à vrai dire fait d’une pierre deux coups après leur visite dans le village. Elles ont fait intégrer Kawéni sur la liste des secteurs pilotes d’où interviendra sous peu de temps les PEL. « Les PEL, c’est un dispositif d’accompagnement des communes pour les aider à construire une vraie politique de la jeunesse. Le projet se base sur ce qui existe déjà et associe tous les intervenants éducatifs ou sociaux. En particulier, nous associerons la parole des jeunes. Ce seront les jeunes eux-mêmes qui expliqueront ce qu’ils veulent vraiment. Dans la ville de Mamoudzou, nous avons ciblé un certains nombre de quartiers. Et nous avons fait intégrer Kawéni dans la liste  puisque c’est un quartier démuni et qui a toujours été délaissé. Pourtant c’est à Kawéni où se trouve une population de jeunes très importante. » a conclu M. Grégory KROMWELL.

Yssouf Rosette est chargée de mission au projet PEL. Elle nous explique : « Les PEL s’adressent aux jeunes de 0 à 28 ans des secteurs ci-nommés : M’gombani, Passamainty, Kavani et Kaweni. Et grâce aux PEL chaque problématique aura une réponse. Parce qu’avec des activités scolaires et extrascolaires, les PEL répondront à des besoins réels, notamment l’insertion professionnelle, la lutte contre l’illettrisme et l’analphabétisme, la prise en charge des enfants isolés, la prévention de la délinquance, l’éducation à l’environnement et à la citoyenneté, etc. En somme, les PEL (Politiques Educatives Locales) auront pour mission de mieux coordonner sur le plan territorial l’ensemble des actions et interventions éducatives en faveur de l’enfance et de la jeunesse. »

Il est à noter qu’il n’y a que la moitié des élèves scolarisés à Mayotte qui atteint la 6e et ce n’est que 16 % des bacheliers qui parviennent en 2ème année à l’Université. Et après s’être entretenus avec certains intellectuels mahorais, nous sommes arrivés à la conclusion suivante : l’école d’expression française à Mayotte est inadaptée aux situations et aux besoins réels des Mahorais. Puisque elle ne prend pas en compte la réalité socio-économique de l’île  ni ne prend racine dans ce qui forme l’identité culturelle et traditionnelle des Mahorais. En effet, la rapidité des changements socio-économiques actuels, les progrès précipités en matière d’infrastructures  et de technologies font perdre les repères socioculturels à de nombreux jeunes dont certains se retrouvent soit à la rue en devenant des inadaptés sociaux soit en prison.

Par ailleurs,  l’école doit viser sur le long terme. Elle doit essentiellement insérer l’élève dans son milieu naturel. Tout en l’aidant  à faire face aux défis de son temps, elle doit aussi toujours lui permettre d’être à jour à chaque transformation de sa société. De Socrate à Freinet en passant par Rousseau, l’éducation a toujours été perçue comme une sorte d’outil au service de la survie.  Cela dit, l’éducation doit assurer les meilleures chances à chacun de nous. Elle doit déclencher en chacun de nous les principes de la démarche scientifique, le besoin permanent d’une recherche constante et un esprit critique face au monde qui nous entoure. En somme, l’école moderne doit permettre à chaque membre des  différents groupes ethnolinguistiques de Mayotte et du reste de l’archipel des Comores d’influer sur son propre destin en suscitant chez lui des initiatives et des créations, individuelles et communautaires. Mais tout cela ne peut se faire sans une valorisation de la langue maternelle. Puisque c’est grâce à la langue de la mère, des premiers mots, des premières appellations, des premières réflexions,  des premières émotions que l’enfant développe ses capacités cognitives.

Notre équipe tient à rappeler qu’il est temps que les vrais acteurs de l’éducation des jeunes à Mayotte soient identifiés. Et une honnête identification ne peut se faire sans une comparaison entre éducation et instruction. Les jeunes mahorais, du moins ceux d’antan, ont toujours eu, avant de fréquenter l’école d’expression française, l’éducation de leurs parents et de leur maître du Coran. Dès le plus jeune âge, ces éducateurs traditionnels éduquaient les enfants à discerner le bien et le mal, à avoir du respect pour les grandes personnes et avoir des attitudes de tolérance, de justice et de solidarité.

Enfin, notre équipe a remarqué qu’à Kawéni, les enfants dont les parents arrivent à concilier traditions et modernités, éducation et instruction, s’en sortent facilement à l’école et s’épanouissent pleinement dans la vie, étant donné que ces parents  encadrent et soutiennent des enfants qui les écoutent et les respectent. Ce qui n’est pas effectivement le cas pour bon nombre de parents de Kawéni qui  croient que scolariser un enfant suffit ; que l’école du muzungu,  l’Européen, peut tout faire. En somme, il existe à Kawéni comme dans le reste des villages de Mayotte un conflit intergénérationnel aigu qui fait que parents et enfants ne communiquent plus. Beaucoup de jeunes sous-estimant et rejetant leurs parents qui sont pour la plupart pauvres, non francophones et analphabètes, et qui deviennent malgré eux des inadaptés sociaux.